Gare à l'e dans l'o !

Une coquille à tuer dans l'œuf

< mardi 6 avril 1999 >
Chronique

À tant faire que de pondre un article (le centième, déjà !) au lendemain de Pâques, consacrons-le aux œufs... Ou, pour être plus précis, à ce PACS linguistique que le commun des mortels nomme l'e dans l'o, et dans lequel il n'est pas loin de voir un mariage contre nature. On n'est que trop prompt, en effet, à le traiter avec désinvolture la plume à la main : combien d'e refusent de se mouiller et restent obstinément sur la berge ! Trop prompt, encore, à le snober lors de la frappe : si, à la différence des machines à écrire d'antan, l'informatique le tient effectivement à notre disposition, nous ôtant du même coup toute excuse, c'est souvent au prix de manipulations qui rebutent les gens pressés que nous sommes, pour qui le « raccourci clavier » le plus commode n'en représente pas moins un détour. Trop prompt, enfin, à l'écorcher dans la conversation : si, suivi d'une voyelle, il se prononce bien eu, c'est un é qu'il s'agit de faire entendre dans ces mots, souvent malmenés, que sont œcuménisme, œdème, œnologie et œsophage. Jusqu'à la majuscule, enfin, qui dérange ! Faut-il rappeler ici que, même manuscrite, elle est double et qu'il convient donc d'écrire complexe d'Œdipe ? (Là aussi, prononcez édip !) Unique consolation, l'autre ligature de notre langue — c'est ainsi que les typographes appellent la réunion de deux ou plusieurs lettres en un seul bloc —, nous voulons dire æ, n'est guère mieux lotie. Plus difficile encore à écrire à la main (le plus simple consistant à tracer un x sans lever le stylo), elle est à l'origine de bien des divergences au sein des dictionnaires : là où Robert, par exemple, reste fidèle à ladite ligature et écrit ad vitam æternam, curriculum vitæ, ex æquo et lapsus linguæ, Larousse sépare les deux éléments et préconise ad vitam aeternam, curriculum vitae, ex aequo et lapsus linguae... Il est vrai que les susdits s'opposent aussi sur œ, celui-ci écrivant fœhn quand celui-là exige foehn ! Mais comme ne manqueront pas de le dire avec philosophie les lecteurs de La Voix du Nord, désemparés par ces flous rien moins qu'artistiques, autant en emporte le vent...