Louis, Joseph, Gay et les autres...

Du mauvais boulevard

< mardi 23 mars 1999 >
Chronique

Que l'on ne compte pas sur nous pour jeter la pierre à la municipalité de Villeneuve-d'Ascq, sous prétexte qu'elle aurait, en prenant l'initiative de débaptiser une rue Gay-Lussac qui sonnait désagréablement aux oreilles de la clientèle américaine, mis à côté de la plaque... Certes, il y aurait là matière à gloser, ne serait-ce que sur le curieux empressement de nos élites à sacrifier ce qu'il nous reste de patrimoine culturel sur l'autel du sacro-saint réalisme économique : on comprend que le choix de Newton, pour remplacer le physicien et chimiste français, en ait fait tomber plus d'un dans les pommes ! Cela dit, monsieur le maire n'a-t-il pas fait amende honorable en déclarant qu'il fallait considérer sa décision comme nulle et non... avenue ? C'est qu'à vouloir ainsi nommer les rues en fonction de leur destination, on allait tout droit à l'impasse : avant qu'il fût longtemps, c'est Victor Hugo qui aurait fait trop misérable, Louis Pasteur trop aseptisé, Anatole France trop hexagonal. Mais c'est égal : entre l'ordre et le contrordre, on s'est surpris à rêver d'un monde où la rationalité prendrait enfin le pas sur l'arbitraire. Où l'on verrait Jean-Pierre Chevènement s'installer rue de Belfort et abandonner la place Beauvau à son collègue de l'Agriculture ; notre ministre de l'Économie et des Finances quitter Bercy pour la rue de l'Alouette, dans le XIIe, afin de mieux nous plumer ; l'Éducation nationale se fixer rue du Bac, les Anciens combattants avenue de Verdun et les Télécoms rue Sébastien-Bottin. L'Alliance gagnerait probablement en crédibilité en emménageant place de la Concorde, les écologistes en lisibilité (comme on aime à dire aujourd'hui) en s'établissant rue du Chemin-Vert. Jean Tiberi pourrait décréter que, pour en finir avec le traditionnel « Bastille-Nation », les manifestations parisiennes se formeraient dorénavant rue du Départ pour se disloquer rue de l'Arrivée, après un éventuel crochet par la rue Braille. Et pourquoi pas l'A.N.P.E. allée des Bouleaux, les compagnies d'assurances rue Malus et la Haute Cour rue des Innocents ? Bon, allez... C'était pour rire !