Le grain et la paille
Que le lecteur pris en flagrant délit de redondance se console : les pléonasmes d'aujourd'hui n'en seront peut-être plus demain ! En témoigne l'expression saupoudrer de sel, qui ne choque plus guère de nos jours, l'élément sau (que l'on retrouve dans sauce, saugrenu, saumâtre, etc.) n'étant plus perçu comme le représentant de sel que par ceux, rares, qui veillent encore au grain... On est donc fondé, désormais, à saupoudrer de farine ou de sucre, et tant pis pour l'étymologie ! De la même façon, plus personne ne s'offusque que l'on s'oriente vers l'est alors que jadis, orient oblige, la chose allait de soi... Que cela plaise ou non, la langue se transforme, et il serait vain de vouloir contenir un mot dans son territoire d'origine. Ainsi, est-il si grave, puisqu'un lecteur de Wasquehal nous en fait (gentiment) le reproche, d'écrire que « la règle stipule » ? C'est vrai, il s'est trouvé naguère des puristes pour exiger que le sujet de stipuler soit toujours un nom de personne... mais Hanse a fait litière de cette obligation en précisant que ledit verbe « pouvait avoir pour sujet les contractants ou le contrat ». C'est vrai encore, on peut souhaiter que l'emploi de ce verbe soit réservé, comme c'était le cas initialement, au domaine juridique (le latin stipula renvoie à la paille que l'on rompait en signe de promesse verbale), autrement dit à un contrat en bonne et due forme... mais c'est aller là contre les dictionnaires, qui, depuis longtemps, ont sorti le mot de son cadre premier pour entériner l'extension de sens « préciser, faire savoir expressément ». Une règle, tout bien pesé, est-elle autre chose qu'un contrat qui lie le grammairien à l'usager ? Un contrat révisable à tout moment en fonction de l'évolution de la langue, comme nous venons de le voir...