Mais pourquoi jeter
ainsi notre patrimoine
avec l'eau du bain ?
C'est à se demander si la langue de la République, comme l'affirme l'article 2 de notre Constitution, demeure le français ! De quelque côté que l'on se tourne, ce qui devrait relever de l'évidence se trouve démenti par les faits.
Il y a quelque huit jours, votre serviteur reçoit dans sa boîte aux lettres électronique une infolettre, — pardon, une « newsletter » ! Elle émane d'une prestigieuse enseigne lilloise, visiblement soucieuse de rappeler que, dans ses murs, l'esprit de nouveauté souffle en courants d'air. Le titre, en tout cas, annonce la ou plutôt les couleurs, et tant pis si, en l'occurrence, ce sont celles de l'Union Jack : « What's Fresh ? »
L'auteur de ces lignes a beau être vacciné contre le virus anglomaniaque et à jour de tous ses rappels, cet acharnement à promouvoir la langue de Shakespeare (ou plutôt ce qu'il en reste) sur les terres de Molière l'épatera toujours, presque autant qu'il le navre. Quand il s'agit, lors du traditionnel « Crunch » du Tournoi des six nations, de punir l'Anglais en poussant en mêlée avec les « gros » du XV de France, personne ne manque à l'appel. À ceux qui s'en étonneraient, on répondrait d'ailleurs que c'est bien le moins, dès lors que la patrie est en danger ! En revanche, voir notre langue perdre sans cesse des parts de marché au profit de l'anglais, avec une minuscule cette fois, ne semble pas émouvoir grand monde.
Encore s'il ne s'agissait que du titre ! Mais c'est peu dire que, dans le corps du message, les fruits tiennent gaillardement les promesses des fleurs : il n'est question, un peu partout, que de « click and collect », d'« outlet », de « lifestyle », de « beauty food », de « digital fashion », de « virtual store », d'« e-carte cadeau » de « live shopping » et de « personal shopper ». Sans oublier, bien sûr, l'omniprésent « New ! ».
Comment ne pas songer à cette citoyenne britannique qui confiait naguère son désarroi au courrier des lecteurs de La Voix du Nord : « J'ai des amis qui pensent venir passer Noël à Lille. Je vais les en dissuader, cela ne vaut pas le coup. Mieux vaut trouver une ville française qui parle et écrit en français. » On lui souhaite bonne chance.
En attendant, grande est la tentation de répondre à ce « What's Fresh ? » par un « What's French ? » C'est pourtant ça qui serait vraiment nouveau, que nous réentendions parler français en France. Mais il est à craindre que nous en soyons longtemps encore pour nos… frais !