Quand le chiffre prend
(parfois indûment)
le pas sur le nombre...

< dimanche 27 novembre 2022 >
Chronique

Un lecteur nous fait part de son agacement devant la confusion grandissante entre le chiffre et le nombre. Les choses sont pourtant des plus claires pour lui : le premier est au second ce que la lettre est au mot.

Un simple signe d'écriture, autrement dit, qui, seul ou en combinaison avec d'autres, représente un nombre et exprime n'importe quelle valeur. On n'en comptera donc que dix, zéro compris, alors que les nombres, qui englobent ces dix chiffres, sont, eux, innombrables ! Voilà une distinction qui, c'est vrai, gagnerait à être inculquée à nos chères têtes blondes dès le plus jeune âge, et à leur être régulièrement rappelée par la suite, à une époque où le manque de bases se fait cruellement sentir…

Force est d'avouer, cela dit, que la langue n'a rien fait pour clarifier une situation qui, initialement, ne laissait aucune place à l'ambiguïté. Dans le Dictionnaire de l'Académie française lui-même, il est précisé que le chiffre est aussi, au sens figuré, le « nombre que figurent les chiffres ». Quant au Dictionnaire historique de la langue française (dont vient tout juste de paraître l'édition ultime, enrichie par le regretté Alain Rey juste avant son décès), il ne craint pas de faire remonter ce glissement de sens à quelque deux cents ans !

Ainsi en va-t-il souvent d'une langue prompte aux extensions de sens… Le chiffre d'affaires, dont il ne viendrait à l'idée de personne de contester le bien-fondé (à moins que le « s », bien sûr, ne termine le mot chiffre plutôt que le mot affaires), n'en est pas moins une expression qui relève de la métonymie, cette figure de style consistant à « désigner un concept par un autre qui lui est lié par une relation nécessaire » ! Même chose pour le chiffre de l'inflation ou celui du chômage, lesquels correspondent, stricto sensu, à une quantité en bonne et due forme !

Que dire encore de l'expression en chiffres ronds, sinon qu'elle n'émeut plus personne, alors qu'à l'évidence un chiffre, au sens premier du terme au moins, ne saurait être arrondi, à la différence du nombre qu'il représente ?

Une petite dernière pour la route : le chiffre peut aussi désigner, dans le domaine du renseignement, le service civil ou militaire où l'on code et déchiffre les dépêches secrètes. Mais cette acception-là, on s'en doute, a plus souvent cours dans un bureau qui ressemblerait à celui dit « des légendes » que sous la Coupole !