Attention !
une récupération
peut en cacher une autre...

< dimanche 30 octobre 2022 >
Chronique

À tort ou à raison (il n'appartient pas au chroniqueur de langue d'en décider), il aura été beaucoup question de « récupération » ces jours derniers. Cela dit, autant que la chose, le mot déjà mérite un détour…

Gageons que nous n'étonnerons personne en rappelant qu'il nous vient du verbe latin recuperare ! Ce dont on ne se doute pas, en revanche, c'est que la chose ne s'est pas faite spontanément : par le seul jeu des transformations phonétiques, c'est un autre verbe qui avait d'abord occupé la place, à savoir… recouvrer.

On connaît certes celui-là, surtout pour les problèmes qu'il pose au locuteur lambda. On n'ignore pas qu'il signifie, lui aussi, « rentrer en possession de ce que l'on avait perdu » et personne n'ira regretter qu'un aveugle « recouvre la vue », ni qu'un énervé « recouvre son sang-froid ». Nous ne parierions pas, en revanche, que l'on reconnût toujours là un verbe du premier groupe, ne fût-ce que pour ne pas le confondre avec son paronyme, autrement courant, recouvrir.

Ajoutons au passage que sa proximité de sens avec un autre paronyme, retrouver, ne contribue pas à nous le rendre familier : « retrouver la santé » a beau être moins élégant que « recouvrer la santé », il n'en constitue pas pour autant une faute ! Girodet, loin de l'interdire, se borne à le déconseiller dans un langage « très soutenu », ce qui, sur l'échelle de Richter de la désapprobation grammaticale, correspond tout au plus à un séisme de magnitude 1... C'est dire si l'infortuné recouvrer est au mieux snobé par l'usager, au pis estropié, à l'image d'un participe passé plus volontiers recouvert que recouvré !

Est-ce pour toutes ces raisons qu'à la fin du Moyen Âge nos grammairiens ont artificiellement créé une forme à partir de l'étymon dont nous parlions plus haut, donnant naissance à notre récupérer d'aujourd'hui ? On sait que notre lexique n'est pas avare de ce que l'on appelle, dans le jargon maison, des « doublets » : arracher et éradiquer, châtrer et castrer, écouter et ausculter, épaule et spatule, frêle et fragile, mâcher et mastiquer, sevrer et séparer, etc.

Dans chacun de ces couples, les deux mots remontent, étymologiquement parlant, à une seule et même forme, mais ils sont entrés dans notre langue en des temps et par des chemins différents. Ainsi, qui aurait pu croire que, chez nos frères amis du jour, c'est recouvrer qui découlait du populaire, et récupérer du savant ?