Pénurie de carburant :
l'heure de la revanche
pour les puristes ?
L'histoire d'un mot, c'est presque toujours celle de ses dérives. Du sens originel, proche de l'étymologie, aux acceptions dérivées, il y a souvent plus qu'un simple glissement. Parfois même un grand écart !
C'est un exemple ô combien probant que vient tout juste de nous fournir l'actualité. Dépêché auprès des médias pour tenter d'arranger les bidons… d'essence, Olivier Véran — décidément promu homme des crises — n'a-t-il pas promis sans vergogne de réachalander au plus vite les stations-service, là où sévissait une pénurie dont il avait commencé par nier l'existence ? Voilà qui n'aura pas manqué d'étonner ceux de nos lecteurs qui savent, pour l'avoir lu autrefois dans ces mêmes colonnes, que le verbe en question appartient à la famille du chaland (un seul « l », au contraire du célèbre jus de raisin), autrement dit du client « chaud » (c'est le sens du latin calere, à l'origine du chaloir de notre quasi disparu « peu m'en chaut »), lequel a pour bonne habitude de faire toutes ses emplettes chez le même marchand.
Le hic, c'est que ce n'était pas précisément de clients que manquaient les stations en question, ces dernières en regorgeant au contraire… au point d'engorger les rues adjacentes !
Pour autant, ne jetons pas la pierre à notre ancien ministre de la Santé : il ne sera pas (hélas !) le dernier à aligner l'achalandage sur l'approvisionnement ! Reconnaissons d'ailleurs de bonne grâce que le magasin qui propose la plus grande variété de produits est aussi celui qui a toutes les chances d'attirer de nombreux clients… Et comment résister au pragmatisme de l'usage dès lors que nos dictionnaires usuels, après s'être munis de pincettes, ont eux-mêmes fini par accueillir l'extension de sens félonne sans la moindre arrière-pensée ?
Et voilà que, divine surprise, la crise que vous savez nous abreuve d'images de stations d'autant plus assiégées par le chaland que leurs pompes sont désespérément vides ! Combien le porte-parole du gouvernement eût été inspiré de s'en tenir, pour une fois, à sa volonté de les réapprovisionner ! Et quelle revanche pour des puristes longtemps humiliés, trop heureux de pouvoir démontrer enfin que la distinction qu'ils défendaient bec et ongles, loin de relever de la seule cuistrerie ou d'un pinaillage obsolète, avait sa raison d'être : celle d'une langue précise et rebelle à l'équivoque…