On pouvait croire
cette « alerte » fausse :
c'était une fausse alerte !

< dimanche 6 novembre 2022 >
Chronique

Chacun aura compris ces dernières semaines que le torchon brûlait entre Agnès Buzyn, ancienne ministre des Solidarités et de la Santé mise en examen pour sa gestion contestée de la pandémie, et ses ex-collègues.

Il ne saurait être question pour nous de prendre parti : entre l'arbre et l'écorce, c'est un proverbe qui nous le rappelle, il ne faut jamais mettre le doigt ! En revanche, le chroniqueur de langue est bien dans son rôle quand il pèse les mots dont usent les uns et les autres pour se défendre. Ainsi, il y a gros à parier que nombre de lecteurs se seront étonnés d'entendre la candidate malheureuse à la mairie de Paris déclarer : « J'ai été, de très loin en Europe, la ministre la plus alerte. »

Voilà en effet un adjectif dont on n'use plus guère que pour exprimer la souplesse, qu'elle soit physique (le sens est alors très proche de celui de leste) ou intellectuelle. Vif est dans ce cas le premier synonyme qui vienne à l'esprit : on se souvient pour l'occasion de cette « alacrité intellectuelle » que François Hollande avait cru devoir déceler chez un président algérien Bouteflika pétrifié dans son fauteuil.

C'est dire que beaucoup se seraient plutôt attendus, vu le contexte, à des qualificatifs tels que lucide, perspicace, vigilante, voire, pour faire moderne, réactive. Trop heureux si d'aucuns ne sont pas allés jusqu'à soupçonner chez l'intéressée une confusion plus ou moins voulue entre l'adjectif et le substantif, son intention étant à l'évidence de souligner sa promptitude à… donner l'alerte !

Eh bien, pour une fois, la consultation des dictionnaires n'accable pas notre ministre ! On pourra à la rigueur lui reprocher de parler comme au XVIe siècle, l'acception y étant considérée comme « très vieille » et « très rare », mais ce sens-là a existé. Il est même le premier du mot : « vigilant, en éveil, sur ses gardes ». L'étymologie nous apprend que, chez Rabelais, la chose s'écrivait « à l'herte », et qu'elle devait beaucoup à l'italien all'erta : il était en effet question de se trouver sur une crête (erta), à l'instar d'un guetteur, ce qui permettait de se faire une idée plus globale de la situation. Visiblement, le substantif en a conservé le souvenir, l'adjectif non !

Agnès Buzyn n'avait donc pas tort là-dessus. Coup de chance ou goût prononcé pour l'archaïsme ? On ne le saura probablement jamais, ceux qui ont à la juger ayant, à n'en pas douter, d'autres priorités…