Selon que vous serez footeux
ou misérable...

< dimanche 27 juin 2021 >
Chronique

... la VAR grammaticale vous rendra blanc ou noir ! Voilà probablement ce qu'écrirait, quatre cents ans après sa naissance, un certain La Fontaine s'il lui prenait la fantaisie de ressusciter par ces temps d'Euro.

Qu'entendons-nous régulièrement, en effet, sur les ondes ou aux étranges lucarnes ? qu'il est regrettable que tel ou tel joueur (au hasard, Benzema) n'ait pu finalement « s'emmener le ballon », alors que la route du but semblait grande ouverte !

Au demeurant, tout le monde comprend. Il n'est pas même sûr que les oreilles les plus chastes en frémissent, habituées qu'elles sont depuis longtemps à ces tours « sportifs » qui finiraient par constituer, en période de grand tournoi surtout, un État dans l'État. Pourtant, à y bien réfléchir, la formule n'a pas grand-chose d'orthodoxe.

Ce n'est pas qu'emmener soit ici hors de propos. Certes, il faut lui préférer le verbe emporter quand on n'a affaire ni à une personne ni à un animal. Mais emmener sied aussi à une chose qui se déplace d'elle-même, ce qui est après tout le cas du ballon quand on le lui demande gentiment. Et puis, il ne semble pas qu'il soit ici question d'emporter ce dernier sous le bras, quand bien même, devant des blocs bas comme celui que nous a opposé la Hongrie, le franchissement de la ligne défensive s'en trouverait grandement facilité !

Autrement contestable est la construction pronominale, ignorée de Larousse comme de Robert. Seul le Trésor de la langue française recense s'emmener, mais il s'agit alors, dans un registre populaire, de s'emmener... soi-même (« arriver quelque part » ou « en partir »). Il y est encore question, sur un terrain tout aussi familier, de s'emmener quelqu'un (« le prendre avec soi »), au grand jamais quelque chose ! Il faut pourtant croire que la littérature sportive a ses raisons que la raison grammaticale ne connaît pas...

Il suffit d'ailleurs de voir comment, dans ce milieu, s'est récemment imposé adversité en lieu et place d'opposition : « Après la confrontation contre les champions du monde 2014, l'adversité s'annonce moins coriace (on l'a vérifié !) face à la 37e nation mondiale », a-t-on lu, par exemple, sur le site du Huffington Post. Au mépris du sens classique et traditionnel, seul reconnu par nos lexicographes, de « sort contraire ». Mais que peut peser Jean Racine, on vous le demande, devant Eugène Saccomano ?