N'en rajoutons pas
quand il est
plutôt question d'en enlever

< dimanche 20 juin 2021 >
Chronique

Curieuse et ô combien paradoxale, cette façon que nous avons, la plupart du temps, d'accumuler les mots inutiles pour signifier qu'il est besoin de trois fois rien pour faire quelque chose !

Il y a peu, un journaliste sportif de Libération laissait entendre que la parenthèse Pochettino était tout près de se refermer au PSG : « Il suffit juste d'un tweet, répétait-il à qui voulait l'entendre, pour que tout s'arrête. » Plus d'un se sera alors demandé à quoi au juste pouvait bien servir ce juste : la nuance restrictive qu'est censé véhiculer ce dernier n'est-elle pas déjà exprimée par le verbe suffire ? En matière de langage, bis repetita... ne plaisent pas toujours, surtout au pays de Descartes : multiplier les mots pour dire une seule chose revient souvent à les dévaluer, sans bénéfice aucun pour le sens.

Tout aussi répandu, le renforcement du verbe suffire par l'adverbe seulement. Témoin cette consigne relevée, sur une page internet de France Bleu, à l'occasion d'un dépistage du coronavirus à Hérouville-Saint-Clair : « Il suffit seulement de venir avec sa carte Vitale. » Sans doute a-t-on pensé que le pléonasme contribuerait à convaincre les récalcitrants... Mais le fin du fin est probablement atteint quand d'aucuns croient devoir en rajouter dans la lourdeur et enchâsser suffire dans la locution restrictive ne... que !

Nos cousins du Québec n'y échapperaient pas plus que nous puisque, au hasard de la Toile là encore, nous avons aperçu la chose par deux fois dans les colonnes du Journal de Montréal : « Souvent il ne suffit que d'un coup de pouce pour nous faire avancer », « il ne suffit que d'une chicane, d'un événement anodin pour que ça dégénère »... Il suffit d'un coup de pouce, il ne faut qu'une chicane eussent pourtant bien... suffi.

On nous objectera que l'on reste, malgré tout, à distance respectable du chef-d'œuvre d'un certain sélectionneur, lequel annonça un jour au micro, et sans trembler, que Frank Ribéry était « dans l'incapacité de pouvoir être apte à jouer », quand l'incapacité de jouer se fût révélée suffisamment handicapante ! Cela dit, aussi longtemps que ce poète fera de nous des champions du monde et des vice-champions d'Europe (on croise les doigts pour qu'il fasse mieux encore dans les semaines qui viennent), on lui pardonnera bien volontiers de s'emmêler de temps à autre les pinceaux dans les dribbles de sa communication...