Scènes de genre (5)
Le remède pire que le mâle ?
Que conclure, au terme de notre réflexion ? Qu'il sera sans doute difficile de s'opposer à la féminisation de ministre. Certains journaux s'y sont déjà ralliés, et c'est là un signe : en 1991, les feuilles les plus favorables à la réforme avaient elles-mêmes renoncé à la mettre en pratique. L'Académie a grammaticalement raison... mais il est à craindre que l'usage, à terme, ne lui donne tort ! À craindre ? Oui, car si la féminisation, en soi, ne nous empêche pas de dormir (de plus grands périls nous semblent, pour tout dire, menacer la langue française), l'anarchie qui en résulte déjà, dès lors que le problème se pose pour un terme à finale moins consensuelle, est autrement inquiétante. Nous n'en voulons pour preuve que le mot auteur : quand, chez Larousse, on ne serait pas franchement hostile à une auteure, en Belgique on préconise une auteur, en Suisse romande une autrice ! La francophonie peut-elle, à l'heure du « tout-anglais », s'offrir le luxe de rimer avec cacophonie ? Mais il y a plus grave encore. Quand Mme Ségolène Royal affirme qu'elle va s'attaquer à présent à la sacro-sainte règle selon laquelle « le masculin l'emporte sur le féminin » (concédons-lui que la formulation n'est pas des plus heureuses), on ne peut s'empêcher de redouter que l'on n'en vienne bientôt à sacrifier, sur l'autel du « politiquement correct », les fondements mêmes de notre langue. Faudra-t-il, pour satisfaire une poignée d'activistes, imiter les Américains — lesquels ont substitué chairperson à chairman — et ouvrir les portes du Panthéon aux « grandes personnes » ? Faudra-t-il décréter, comme pour la circulation, que le neutre sera représenté par le masculin les jours impairs, les jours pairs par le féminin ? Faudra-t-il, comme s'en effraie Stéphane Brabant, écrire désormais : « Dès qu'ils et elles sont entrés et entrées, les députés et députées se sont assis et assises » ? Il n'est pas sûr que le style y gagne. Mais il est vrai que ce dernier est, lui aussi, suspect de sexisme : Buffon n'a-t-il pas prétendu, bien imprudemment, qu'il était « l'homme même » ?