Une classe politique
de plus en plus consciente
de ses responsabilités ?

< dimanche 27 décembre 2020 >
Chronique

Il est loin le temps où, à l'instar de la ministre Georgina Dufoix, on ne se disait responsable que pour ne pas être jugé coupable : chaque discours est aujourd'hui l'occasion de revendiquer sa responsabilité !

N'ayons garde de nous attribuer ce qui appartiendrait à d'autres Césars : dès l'aube de la crise sanitaire, d'aucuns ont relevé chez ceux qui nous gouvernent (Christian Estrosi, Franck Riester, Christophe Castaner) cette propension à rappeler que leurs actes sont dictés par une conscience aiguë de leurs devoirs. Mais le meilleur était à venir, entendez par là notre Premier ministre, lequel, en l'auréolant de l'accent chantant du Sud, a donné ses lettres de noblesse à une expression qui revient en boucle dans ses propres allocutions, et plus encore dans les versions caricaturales qu'en propose Laurent Gerra.

« En responsabilité » est, depuis lors, le passage obligé pour tout dirigeant qui se respecte, réfléchit avant d'agir et ne prend pas ses décisions à la légère (les mauvais esprits, pour insinuer que cela devrait aller sans dire, ne manqueront pas d'espérer qu'il en a toujours été ainsi, avant même que l'expression ne vît le jour). C'est devenu également l'excuse rêvée pour envoyer dans les cordes quiconque oublierait que l'art est difficile. En témoigne cette récente réponse d'une députée LREM à un homologue insoumis : « C'est très facile de critiquer quand on n'est pas en responsabilité. » (En d'autres temps, on eût dit « au pouvoir », mais mieux vaut actuellement évoquer les obligations que les privilèges...)

La locution, à y bien regarder, est curieuse. Non parce qu'elle ne veut pas dire grand-chose : ce ne serait pas la première fois dans l'histoire de l'art oratoire que la musique des mots compte plus que les paroles ! Pas davantage parce que plane autour d'elle comme un parfum d'Albion, la lesson in responsibility ayant là-bas pignon sur street. Nous sommes rompus à ce réflexe qui veut que l'on cherche outre-Manche de quoi valoriser sa fonction — nos politiques n'adorent-ils pas être « en charge de » quelque chose, sur le mode de l'anglais in charge of, au lieu d'en être tout bêtement chargés ?

Mais bien plutôt parce qu'elle engage le destinataire au moins autant que l'expéditeur. Quand un gouvernant souligne en effet qu'il prend ses responsabilités, n'est-ce pas aussi et surtout pour que les gouvernés se décident à prendre les leurs ?