Chers compatriotes,
chers concitoyens,
très chers confinés...
Confinement oblige, nos lecteurs nous écrivent beaucoup. L'un d'eux remarque que, si le chef de l'État nous donne du « Mes chers compatriotes », le Premier ministre nous gratifie d'un « Mes chers concitoyens »...
« Lequel est dans le vrai ? », se demande-t-il. Les deux, mon général (qui, inclusif avant l'heure, avait plutôt tendance à user de son célèbre Françaises, Français) ! En tout cas, n'allons pas voir dans cette divergence la marque d'une quelconque dissension au sein du couple exécutif : tout au plus, peut-être, la traditionnelle propension du chef du gouvernement à marquer son territoire, sur le mode fabiusien bien connu du « Lui, c'est lui et moi, c'est moi ».
Si l'on scrute l'étymologie avec nos lunettes d'aujourd'hui, nul doute que compatriote, qui nous parle de patrie, ne semble plus approprié au statut de nos gouvernants que concitoyen, où il n'est question que de cité. N'oublions pas, pourtant, que jadis la cité représentait beaucoup plus qu'une ville, à l'instar de celle d'Athènes, véritable État qui passait et passe toujours pour le parangon de la démocratie. L'usage a d'ailleurs consacré ce flottement originel, au point d'être entériné par les dictionnaires. Celui de l'Académie indique que compatriote désigne une « personne originaire du même pays et, par extension, de la même région, du même lieu » ; à l'inverse, on y lit que concitoyen signifie « personne qui est de la même ville qu'une autre, et, par extension, du même État ». Et c'est ainsi, aurait dit ce bon Vialatte, qu'Allah est grand et que tout le monde a raison...
Cela n'empêche pas certains de raffiner. Chantal Bouchard, dans La Langue et le nombril, ne veut voir entre concitoyens qu'un rapport de convention quand ce qui unit les compatriotes implique des valeurs et des aspirations communes, le sang et l'histoire étant passés par là. En d'autres termes, au président les grands desseins, au Premier ministre l'expédition des affaires courantes !
Pour dissiper tout malentendu, nos duettistes pourraient évidemment, eu égard aux circonstances, se retrouver sur un œcuménique « Mes chers confinés ». Mais gageons que des mauvaises langues ne manqueraient pas d'ironiser alors sur le double sens de cher, vu la taille de l'ardoise que nous laissera ledit confinement et qu'il faudra bien essuyer, dès que le « quoi qu'il en coûte » ne sera plus d'actualité.