Sachons raison garder dans notre
dénonciation de l'anglomanie ambiante !

< dimanche 14 juin 2020 >
Chronique

Ce qui complique singulièrement la tâche du chroniqueur de langue, je le soulignais dimanche dernier, c'est qu'il n'a pas seulement à définir le bon usage : il lui faut encore réfléchir à son bien-fondé.

Un lecteur plein de bon sens s'étonne par exemple que je puisse m'agacer de cet affreux et inutile impacter (ce dont il me félicite) quand je ne rougis pas d'user, au sein du même article qui plus est, du sulfureux générer (ce dont, sans le dire explicitement, il me félicite moins). L'Académie n'écrit-elle pas, dans la toute dernière édition de son Dictionnaire, que « ce verbe, qui avait disparu depuis des siècles, est parfois employé dans certaines spécialités scientifiques, mais [qu']il est à éviter dans l'usage courant chaque fois que l'on peut utiliser engendrer, produire, causer » ?

De fait, j'ai récemment évoqué dans ces colonnes les « délices générées par le schéma actantiel » : c'est que causer et produire m'auraient paru bien prosaïques, et engendrer bien lourd, pour des délices aussi éthérées ! Cela dit, pourquoi me faire l'écho des diktats puristes là et m'asseoir dessus ici ? Tout simplement parce qu'il me semble (ainsi qu'à Larousse et à Robert, lesquels ne relaient plus la mise en garde de nos immortels) que l'on fait à ce verbe un mauvais procès.

Ce qu'on lui reproche surtout en effet, c'est d'avoir été relancé, dans la seconde moitié du XXe siècle, par l'anglais to generate. Tare indélébile, aux yeux des farouches républicains que nous sommes, que ce statut de soldat de Sa Majesté ! Mais ce serait oublier (ce que l'Académie elle-même n'oublie pas) que ce verbe vient d'abord du latin classique generare et qu'il avait en français pignon sur rue il y a... plus de huit cents ans ! Est-il beaucoup de vocables réputés bien de chez nous qui puissent se prévaloir de tels quartiers de noblesse ? Et s'est-il trouvé quelqu'un, en 1929, pour reprocher au dramaturge Paul Claudel d'avoir fait « générer un ouvrage » par la main, dans son célèbre Soulier de satin ?

Pareillement, nous viendrait-il à l'idée de refuser leur qualité de Français aux cent soixante-dix-sept compatriotes qui débarquèrent sur nos plages un certain 6 juin, sous prétexte que les y ont ramenés des barges d'outre-Manche ? Quand je m'attacherais à la dénoncer partout où elle sévit pour de bon, je ne mange pas de cette anglomanie-là.