Présentiel, distanciel, référentiel,
actantiel... Ciel, mon français !
Naguère, on travaillait « sur place » ou « à distance ». Le confinement aura vulgarisé ce qui relevait jusque-là du jargon des entreprises : travailler « en présentiel » ou « en distanciel ». Tellement plus chic !
Force est d'ailleurs d'avouer que la terminaison en question (-tiel dans la grande majorité des cas, -ciel pour un petit nombre de mots du lexique traditionnel) est devenue la coqueluche de l'usager, notamment depuis l'afflux massif sur le marché des logiciels, progiciels, ludiciels, didacticiels et autres ciels qui vous parlent d'un paradis 2.0 que les plus de soixante-cinq ans peuvent difficilement connaître.
Il s'en faut du reste que le monde des entreprises soit le seul touché (pardon : « impacté » !). Notre Éducation nationale, championne toutes catégories de la novlangue, a très tôt usé et abusé du référentiel pédagogique, à la mamelle duquel ses ouailles étaient fermement appelées à téter. Un cran au-dessus dans le ronflant, il faudrait aussi évoquer, dans le domaine particulièrement exposé de l'explication littéraire, les délices générées par le schéma actantiel (actanciel pour Robert), là où, assez bêtement, on se bornait jadis à étudier les rapports qu'entretenaient les personnages dans le récit. Tout cela, parfois, avec la bienveillante complicité des élèves eux-mêmes, lesquels, le premier moment de surprise passé, n'aiment rien tant, le jour de l'oral, qu'égrener oxymorons, focalisations internes et situations d'énonciation du plus bel effet.
Et que dire, quand la rime serait moins riche, du visuel, qui, dans le petit monde de l'imprimerie, du journalisme et de la communication (ça fait du monde quand même !) a renvoyé photo, illustration et autres platitudes à leurs chères études ? Au point que s'en est emparé le milieu de la police, à en croire du moins les innombrables séries télévisées qui sont censées le mettre en scène : combien de fois n'avons-nous pas entendu un inspecteur en planque confier à son talkie-walkie qu'il avait le suspect... en visuel ? Bref, qu'il l'apercevait.
Pas sûr que la langue sorte grandie de toutes ces trouvailles qui, à l'évidence, visent plus à impressionner qu'à renseigner. Mais si elles peuvent contribuer à aiguiser les dents des jeunes loups des écoles de commerce, dopés aux accents martiaux des Lacs du Connemara, pourquoi pas, après tout ?