Restaurants et cinémas doivent-ils
vraiment réouvrir... ou plutôt rouvrir ?

< dimanche 31 mai 2020 >
Chronique

Il y a le volet sanitaire du problème (que nous abandonnons lâchement à qui de droit) et le volet linguistique, dont nous ne saurions nous débarrasser sans mauvaise conscience. Ce n'est pourtant pas l'envie qui manque !

C'est que le sujet a déjà été abordé dans ces colonnes, à la fin du XXe siècle, par quelqu'un qui signait comme votre serviteur alors que, la glace le répète chaque jour à celui-ci, celui-là lui ressemblait physiquement fort peu. Il y était écrit qu'en ces temps de réouverture du palais des Beaux-Arts le seul verbe présentable était... rouvrir ! Non que notre langue réputée cartésienne nous semblât pour le coup tenir toutes ses promesses : lorsqu'il lui faut traduire la réitération devant une voyelle ou un « h » muet, elle use tantôt du « r » seul (ravoir, rentrer, rhabiller), tantôt — et beaucoup plus souvent — du préfixe « ré- » (réaffirmer, réorganiser, réutiliser). En faveur de ce dernier, une plus grande consistance qui l'empêche de passer inaperçu, surtout en présence de verbes courts, par essence plus exposés à une éventuelle homonymie : on comprend avec Grevisse que des verbes comme rôter ou ruser (ôter, user de nouveau) ne se soient pas imposés et que raimer ou raller n'aient jamais dépassé le stade, au demeurant respectable, du régional ou du plaisant.

Quelquefois, la langue a fait flèche des deux bois, accueillant en son sein l'une et l'autre version (rapprendre et réapprendre, récrire et réécrire). Allant même, histoire de joindre l'utile au désagréable, jusqu'à trouver des nuances là où il n'y en avait pas forcément à l'origine. Dans la crise que nous venons de traverser, ne revenait-il pas aux services d'urgence de réanimer les malades, et à M. Macron de ranimer la flamme ?

Depuis 1997, quid novi ? Robert et l'Académie campent sur leurs positions : toujours rien à voir du côté de « réouvrir » ! La porte de Larousse s'est, en revanche, entrouverte : la forme scélérate a désormais son... entrée. Partant, nul doute que les jours de rouvrir ne soient comptés, ni que bientôt il n'y ait plus pour en user que les amoureux (dont nous sommes, mais vous l'aviez compris) de la tradition et de la légèreté : fût-il très loin de se montrer toujours cohérent lui-même, l'usager a ici beau jeu de remarquer que le couple rouvrir/réouverture fait tache. Et comme il ne sera jamais question de prêcher la « rouverture », les puristes n'ont plus qu'à... la fermer !