Faut-il dire qu'elle est
« la plus belle » ou « le plus belle » ?

< dimanche 3 février 2019 >
Chronique

Il est possible que vous ne vous soyez jamais posé la question, l'accord de l'article paraissant éminemment naturel dans ce cas de figure... Mais notre langue, précise entre toutes, est passée par là. Écoutez plutôt !

« De toutes les histoires que l'on m'a racontées sur le petit monde du ballon rond, celle de cet entraîneur licencié avec force indemnités avant d'être rengagé à prix d'or trois mois plus tard est probablement la plus savoureuse. » C'est à bon droit que j'accorde ici l'article, puisqu'il y a comparaison avec les autres histoires que je connais et que celle-ci me semble l'emporter sur elles. Au contraire, si je veux dire que l'histoire n'apparaîtra jamais aussi cocasse que rapportée par l'intéressé, j'écrirai : « C'est dans la bouche dudit entraîneur que l'histoire est le plus savoureuse. » Il ne s'agit plus cette fois d'établir une supériorité sur d'autres anecdotes, mais de comparer celle-ci à elle-même, dans des circonstances ou des lieux distincts.

La règle, évidemment, vaut pour le nombre comme pour le genre et Joseph Kessel n'aurait jamais dû écrire dans son célèbre Lion : « C'est de loin que les bêtes sont les plus jolies ». Grevisse a beau jeu d'insinuer que « le plus jolies » eût été autrement indiqué pour l'occasion : on ne compare pas différentes espèces d'animaux, on constate seulement que prendre du recul pour les observer ajoute encore à la beauté des bêtes en général.

L'invariabilité est également requise quand le superlatif relatif porte sur un adverbe. Affirmer, comme on l'entend par les temps qui courent, que « le rétablissement de l'ISF est la revendication la plus souvent citée par les manifestants » relève d'un style relâché, qui n'épargne pas les meilleures plumes. Il suffirait pourtant de déplacer l'adverbe pour s'apercevoir que l'article ne peut être rapporté au participe : « la revendication citée le plus souvent » !

Sied-il de s'insurger contre tant de subtilité ? Oui, soutiendront d'aucuns en remarquant qu'au masculin singulier on se passe de ce genre de distinguo. Non, rétorqueront ceux pour qui tout effort de précision est bon à prendre. Ces derniers n'ont plus qu'à espérer que l'écriture inclusive ne viendra pas s'en mêler : ce « le » dont on use pour une femme n'est-il pas un obstacle à ce que ses partisans appellent la « visibilité » de la gent féminine dans notre société ?