Sied-il encore, aujourd'hui,
de parler de sa femme
comme de sa « moitié » ?

< dimanche 20 janvier 2019 >
Chronique

Il y a peu, l'hebdomadaire Marianne a consacré un volumineux dossier aux chansons célèbres du répertoire français qui auraient aujourd'hui toutes les chances d'être clouées au pilori par le « politiquement correct ».

Colonialisme, voire racisme pour La Petite Tonkinoise de Maurice Chevalier, incitation à la pornographie pour le Milord de Piaf, promotion de la souffrance animale pour L'Entrecôte des Frères Jacques, harcèlement sexuel pour J'aime les filles de Dutronc, misogynie pour La ville s'endormait de Jacques Brel... Sans même évoquer Gainsbarre, à qui il arrive de cocher plusieurs cases, la liste impressionne.

Mais que dire de certaines expressions de notre langue, qu'aujourd'hui il vaut sans doute mieux enfouir dans sa poche, avec son mouchoir par-dessus ? Nous songeons par exemple à cette « moitié », équivalent vieilli, littéraire ou familier (barrez la mention inutile, pour peu qu'il y en ait une) de « compagne, épouse » pour le Trésor de la langue française.

À l'origine, pourtant, rien que de très convenable : il s'agissait seulement de louer la cohésion du couple, de souligner à quel point l'autre vous était indispensable. Le terme d'affection, précisent nos immortels, s'appliquait à une « personne tendrement chérie », ce qui, en soi, ne constitue nullement un chef d'accusation ! Mais qu'en resterait-il aujourd'hui, la femme, avide d'autonomie et d'indépendance, n'ayant plus forcément vocation à ne vivre que par et pour l'homme ?

Aggrave sensiblement le cas de ladite moitié le fait que, contrairement à ce que prône l'Académie, prudemment retranchée derrière l'œcuménique personne, la chose se disait surtout de... Madame : nulle trace de « compagnon » ni d'« époux » dans la plupart des dictionnaires ! Discrimination de facto, à laquelle vient encore ajouter le possessif qui précède. « Possessif affectueux », hasardera la défense. « Lourd d'arrière-pensées d'appartenance et de... possession », justement, rétorqueront les féministes !

Peut-être conviendrait-il de substituer à cette moitié douteuse un double plus seyant, et surtout plus respectueux de la vraie place que tient dans la vie du mâle la dame de ses pensées ? Mais on risquerait alors de réduire l'intéressée à l'état de copie, trop souvent pâle. Et l'on vous épargne les allusions déplaisantes, pour peu qu'à cette époque allergique au surpoids elle ne sorte pas à son avantage de la cruelle épreuve de la balance...

En fait, aime et tais-toi !