Ô syllepse, que de crimes
on commet en ton nom !
Ce 29 décembre, chacun pouvait découvrir sur la page Internet de notre confrère Gala le chapeau suivant : « Brigitte et Emmanuel Macron à Saint-Tropez : pourquoi le couple a choisi de passer leurs vacances là-bas. »
S'il ne s'agissait que d'une malheureuse faute d'étourderie — d'ailleurs dûment corrigée dans les heures qui ont suivi —, elle n'aurait pas sa place ici. Las ! l'emploi d'un adjectif possessif tel que leur, s'appliquant à plusieurs possesseurs, pour renvoyer à un singulier comme couple revient régulièrement dans la presse, et jusque sous les meilleures plumes.
Les grammairiens nous expliqueront que ce travers qui consiste à accorder les mots selon leur sens plutôt qu'en fonction de la grammaire porte le nom de « syllepse ». Ici, c'est parce que le couple en question fait irrésistiblement penser à deux personnes qu'en aval leurs a été préféré à ses. Plus déconcertant encore, ce titre glané sur la Toile, et qui joue, lui, sur les deux tableaux : « Beyoncé et Jay-Z : le couple pose ses valises à Cannes pour leurs vacances ! » Le singulier a d'abord résisté, puis il s'est à son tour fait la malle...
Il est à noter que la syllepse peut également affecter le genre. Témoin cette déclaration de Frédéric Mitterrand présentant son oncle et l'acteur Roger Hanin au soir de son décès comme « deux personnes qui se sont rejoints ». Ne pouvant soupçonner un ministre, de la Culture qui plus est, d'ignorer la règle de l'accord du participe passé quand celui-ci est conjugué avec être, on plaidera l'accord sylleptique, le féminin personne s'effaçant de bonne grâce devant deux virils représentants de la gent masculine !
Toutes choses égales, c'est un peu ce qui arrive aussi à notre féminin espèce dès lors que lui fait suite un nom masculin : pour n'en prendre qu'un exemple, on a tôt fait de parler en ce moment d'« un espèce de ras-le-bol ». La visualisation dudit ras-le-bol, chaque samedi, est telle qu'espèce en est réduit à recevoir au passage sa dose de testostérone !
Syllepse encore, pour revenir au nombre, quand on lit chez Zola que « minuit sonnèrent ». Ce jaloux aura voulu imiter le « onze heures sonnèrent » d'un certain Stendhal ! Mais si ceci est correct, cela ne l'est pas, minuit étant un nom masculin singulier. À l'inverse, c'est en se représentant une heure unique au cadran que plus d'un rechigne à mettre un « s » à « neuf heures ». Faut-il préciser que c'est tout aussi fautif, la grammaire devant l'emporter là sur le sens ?