Même à Brégançon, distinguons
le for intérieur de l'intérieur du fort !

< dimanche 1er juillet 2018 >
Chronique

C'était le 15 mai 2014. Une autre époque, où Jean-Michel Aphatie recevait à RTL Bernard Cazeneuve. Au menu, l'arrestation à Strasbourg de sept Français soupçonnés de s'être rendus en Syrie pour y mener le djihad.

Sous le feu nourri des questions du premier, que l'on sait fougueux et obstiné, le second finissait par reconnaître qu'un ministre de l'Intérieur, plutôt que d'ajouter des phrases aux phrases, se devait de conserver celles qui n'étaient pas absolument nécessaires « dans son for intérieur ». Jusque-là, rien de vraiment renversant. D'aucuns trouveront peut-être plus étonnant que, sur le site on ne peut plus officiel du ministère de l'Intérieur, ce « for »-là, comme pour mieux écarter toute possibilité de coquille, ait été écrit trois fois de suite et sans gêne apparente avec un « t ». Et franchement scandaleux que, quatre ans plus tard, les trois « t » soient toujours là.

Imaginons en effet que le locataire actuel de l'Élysée se voie taquiner par un journaliste à propos de sa récente décision d'installer à Brégançon une piscine et qu'on lise, sur le site de la présidence cette fois (a priori, il n'y a aucune raison pour qu'il se dépense là un pognon de dingue pour entretenir à demeure un correcteur), que dans son « fort » intérieur le chef de l'État ne regrette rien puisque ladite installation à l'intérieur du « for » entraînera de substantielles économies en matière de sécurité... C'est qu'à l'impossible, aujourd'hui, nul n'est décidément plus tenu !

Est-il besoin de rappeler ici — oui, apparemment ! — que ce for au goût d'inachevé nous vient en droite ligne du latin forum ? que, des siècles avant de devenir, sur Internet, cet « espace public virtuel destiné à l'échange de messages sur un thème donné » (définition du Petit Larousse), le plus souvent dans un sabir qui n'a plus de français que le nom (c'est nous qui l'ajoutons perfidement), le forum fut, dans les villes romaines, le centre de la vie, où se discutaient passionnément affaires publiques et privées ? De là le sens, que le mot prit peu à peu, de cour de justice, de juridiction ecclésiastique.

« Examiner une question en son for intérieur », c'est par conséquent, stricto sensu, la soumettre au tribunal intime de sa conscience. Gageons que les rares lecteurs qui s'y seraient trompés se feront... fort, dorénavant, de ne plus commettre la faute !