Nous faudra-t-il bientôt
affronter le « qu'en-dira-l'on » ?
C'est à craindre, Rimbaud écrirait aujourd'hui : « On n'est pas sérieux quand l'on a dix-sept ans ». Il suffit en effet de parcourir la Toile pour constater que on se fait de plus en plus régulièrement damer le pion par l'on.
Étymologiquement parlant, on ne criera pas au scandale. Faut-il rappeler que, si « on est un con » (formule familière bien connue, que l'on emploie pour stigmatiser notre propension à nous réfugier derrière l'anonymat commode de l'indéfini), il fut aussi, et plus sérieusement, un nom (il descend du latin homo) : partant, qu'il soit précédé d'un déterminant n'a rien que de très conforme à ses origines ! De surcroît, ce « l' » se révèle bien utile chaque fois que l'hiatus menace. Après et, ou, où, à qui, à quoi, si, force est d'avouer qu'il rend un fier service à l'euphonie : si l'on s'attache un tant soit peu à la musique de la phrase, mieux vaut regarder où l'on met les pieds... Le cas de que est un peu différent : si que l'on s'impose souvent, c'est sans doute pour éviter de réveiller le con qui dort un peu plus haut !
Cela dit, on sait que l'excès nuit en tout. Puisque notre « l' » doit beaucoup à l'euphonie, gardons-nous d'en user là où il heurterait l'oreille. Dans l'exemple rimbaldien que nous citions ci-dessus, il sonne comme un pataquès, au sens vrai du terme : quand se terminant par un « d », on s'attend à une liaison en « t ». Cette dernière suffit d'ailleurs à assurer la fluidité de la phrase, comme à conjurer l'hiatus. Même chose pour le relatif dont : « ce dont on parle » sera toujours préférable à « ce dont l'on parle »...
La circonspection est aussi de règle quand l'ajout du « l' » survient dans un secteur où les liquides coulent déjà à flots : qui ne sentirait qu'il est de trop dans une phrase telle que « Ce paragraphe, il faut absolument que l'on le lui lise » ?
Reste la délicate question du début de phrase. On a aujourd'hui tendance à trouver archaïque, et même affecté, le recours au « l' ». L'on s'obstine néanmoins, car d'aucuns y voient une marque d'élégance, voire une façon de se démarquer du commun !
Une chose est sûre : en la matière, tout est question de mesure. Boileau a eu raison d'opter pour « Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement ». D'abord parce que, sinon, il eût manqué une syllabe à son alexandrin. Ensuite parce que cela aurait fait un peu... concon, non ?