Liberté, égalité, priorité :
la devise de nos politiques !

< dimanche 7 septembre 2014 >
Chronique

Impitoyable et indécrottable « Petit Journal » de Canal Plus ! N'y a-t-on pas pris un malin plaisir, le jour de la rentrée scolaire, à démontrer que la notion de « priorité », chez François Hollande et la plupart de ses pairs, était à géométrie (très) variable ?

Le chef de l'État venait en effet de marteler à son auditoire, avec l'air d'y croire, que la priorité qu'il avait fixée pour le quinquennat, c'était la jeunesse. Et Yann Barthès, avec l'air de premier communiant que chacun lui connaît, de faire alors défiler sur le petit écran certaines des déclarations antérieures du président de la République : « La priorité, je l'ai dit, c'est la sécurité » (Pierrefeu-du-Var, le 14 août 2012) ; « Ma première priorité, c'est l'accès de tous aux soins » (Congrès de la Mutualité française, le 20 octobre 2012) ; « C'est pourquoi j'ai mis la croissance comme première priorité, en même temps que le rétablissement des comptes publics » (point de presse avec Jens Stoltenberg, Premier ministre du Royaume de Norvège, le 28 novembre 2012) ; « Il y a la question de l'emploi, qui est, pour moi, la première priorité » (visite de l'entreprise Onco Design à Dijon, le 11 mars 2013) ; « La première priorité, c'est de bien loger les Français » (mairie de Caen, le 17 mai 2013). Voilà qui est bien fait pour nous rappeler, si tant est qu'on l'ait oublié, que les priorités d'un homme ou d'une femme politiques sont, plus souvent qu'à leur tour, fonction de l'heure et surtout de l'endroit !

Cela dit, et alors que le livre de Jean Maillet, Langue française : arrêtez le massacre !, tout récemment publié aux éditions de l'Opportun, triomphe en partant en guerre contre les pléonasmes qui font florès dans les médias (des « précédents dans le passé » aux « rengaines que l'on entend souvent » en passant par le « tri sélectif »), plus d'un se sera demandé si cette « première priorité », chantée sur tous les lutrins de France et de Navarre, n'en constitue pas un au premier chef ! C'est que, la priorité n'étant autre, pour le Petit Larousse, que le « fait de venir le premier, de passer avant les autres en raison de son importance », la redondance est patente. D'ailleurs, prior ne signifiait-il pas « premier », en latin ? Se contenter de la seule priorité, voire marier l'adjectif premier à un terme plus neutre, tel qu'objectif ou préoccupation, n'eût-il pas été plus raisonnable ?

Pour autant, il s'en faut que tout le monde veuille la mort du pécheur. Puisqu'il ne saurait être interdit de définir plusieurs priorités, la réputée Banque de dépannage linguistique de l'Office québécois de la langue française concède que l'on puisse trouver normal de les hiérarchiser et d'en placer une en première position. « L’expression "première priorité", poursuit-elle, n’est donc pas nécessairement illogique, bien qu’elle demeure maladroite au point de vue stylistique et gagne à être remplacée par des formulations telles que : (...) "priorité absolue", "priorité fondamentale", "priorité majeure", "absolument prioritaire". » Elle recommande aussi priorité des priorités, ce génitif dit « hébraïque », que l'on retrouve dans les expressions consacrées que sont saint des saints et roi des rois...

Nul doute que François Hollande, que cette semaine n'aura pas outre mesure épargné, sur le plan personnel comme sur le plan politique, n'adresse promptement à la Banque de dépannage linguistique susdite un vibrant et reconnaissant « Merci pour ce moment... d'indulgence » !