L'illettrisme et ses tabous : nos ministres
à l'épreuve du politiquement correct !

< dimanche 21 septembre 2014 >
Chronique

Il avait sans doute rêvé d'un autre baptême du feu : pour avoir fait de certaines salariées de l'abattoir de Gad des « illettrées », Emmanuel Macron, notre ministre de l'Économie, s'est vu contraint de présenter des excuses.

Il y a pourtant termes plus infamants. Au sens qu'on entend lui donner désormais, l'illettrisme n'est jamais que l'« incapacité à comprendre le sens d'un texte simple ». Soit que l'école — que l'illettré a fréquentée, au contraire de l'analphabète qui, pour l'étymologie, « ne sait ni A ni B » — ait failli à sa mission, soit que son message se soit progressivement délité sous les coups de boutoir du quotidien. Thérèse Geffroy, présidente de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme, vole au secours du ministre en soulignant que ce n'est pas en se cachant derrière son petit doigt, mais en nommant le mal pour s'attaquer à lui, que l'on vaincra ce fléau qui frapperait aujourd'hui 7 % de nos concitoyens.

Chacun sera d'accord là-dessus. Et nous avons, de notre côté, assez tempêté contre les excès du politiquement correct pour dédaigner de tirer encore sur une ambulance du pouvoir qui tend à afficher « complet ». Force est néanmoins de s'étonner de la naïveté ambiante : comment a-t-on pu penser qu'il suffirait de créer un néologisme — il n'y a guère plus de trente ans que le concept d'illettrisme a été inventé — pour que soit soldé du même coup le passé sémantique plutôt chargé de l'illettré ? Si les faits sont têtus, les mots le sont aussi ! Il n'y a sans doute plus grand monde pour se souvenir qu'illitteratus, en latin, signifiait « ignorant ». Point besoin, en revanche, d'être grand clerc pour comprendre pourquoi, lettré ayant désigné et désignant encore celui qui « a des lettres », illettré a longtemps représenté l'inculte, le béotien. Certes, le dictionnaire qualifie cette acception-là de « vieillie », mais qui le consulte ? Et c'est heureux, car on risquerait d'y lire aussi qu'à côté du sens dont se réclament les pouvoirs publics d'aujourd'hui, il en est un autre, présenté comme moderne celui-là, qui continue à en faire, peu ou prou, un synonyme du péjoratif analphabète.

Le banquier Macron n'a pas fini de constater que les mots se manipulent moins aisément que les devises : ils sont souvent ces auberges espagnoles où chacun apporte, outre sa nourriture, ses préjugés... et ses arrière-pensées politiciennes !