Blague, bobard, canular :
des étymologies plutôt... farces !
Est-il date plus indiquée que le jour du « poisson » pour s'interroger sur l'origine de ces mots qui s'ingénient à mettre un peu de sel — voire de poivre ! — dans notre quotidien trop souvent morose ?
Le plus ancien des trois est sans nul doute blague : c'est dès le début du XIXe siècle qu'il est devenu ce « mensonge pour amuser les gens » que nous connaissons bien. Jusque-là, il s'était appliqué à une gaine, une enveloppe, ou encore à un « jabot de pélican faisant office de sac ». Alain Rey, dans son Dictionnaire historique de la langue française, tire d'ailleurs argument de cette connotation marine pour parier sur l'origine néerlandaise du mot. Toujours est-il qu'il a rapidement fait un tabac chez les fumeurs, ces derniers y voyant en particulier le petit sac dans lequel ils remisaient de quoi pétuner. Comment cette blague-là a-t-elle pris le sens qui nous intéresse aujourd'hui ? Le plus naturellement du monde, en vérité : apparaissant gonflée d'air, elle a très vite été rapprochée de ce qui était... bidon. Un poisson d'avril, n'est-ce pas au fond du vent ?
Bobard, à présent. Plus récent d'un siècle, si l'on consent à oublier que le radical bob — une onomatopée ou il s'en faut de peu — a, depuis toujours dans notre langue, été associé à la niaiserie : il est vrai qu'on y lirait presque une moue, un mouvement des lèvres qui fleure bon la bêtise ! Avant de disparaître du lexique, le bobert était d'ailleurs un sot, le bobeau un mensonge. Le suffixe péjoratif -ard n'a, on s'en doute, rien arrangé...
Canular, enfin. Le bizut, dans tous les sens du terme. D'abord parce que, si l'on en croit le Petit Robert, il serait né après les autres, un peu avant la Première Guerre mondiale. Surtout parce que, justement, il s'est d'abord appliqué... au bizutage ! Ce sont en effet les normaliens de la rue d'Ulm qui l'auraient inventé et fait dériver d'un fantaisiste canularium, un jour que le Gaffiot ne suffisait plus à leur bonheur... À leur décharge, existait bien une cannula, « petit roseau », laquelle était à l'origine de notre canule, ce petit tuyau connu depuis le XVe siècle et qui servait à introduire un liquide ou un gaz dans un conduit de l'organisme. Instrument désagréable, pour ne pas dire humiliant, et qu'on ne s'étonnera pas de voir promptement assimilé à une personne importune, qui viendrait vous faire des tracasseries. Idéal pour caractériser les brimades que l'ancien inflige aux petits nouveaux, non ? De fil en aiguille (si l'on ose dire, eu égard au contexte), le terme prendra, au milieu du siècle dernier, le sens de « mystification » qu'il a encore actuellement. Il semblerait pourtant qu'il soit appelé à se spécialiser en informatique, les commissions de terminologie lui ayant récemment confié la mission de bouter l'anglais hoax hors de France. Au demeurant, ce n'est pas gagné !
On le voit, l'étymologie de tous ces vocables est plutôt... farce ! Mais, au fait, quel rapport entre ce dernier mot, le plus vieux de tous pour figurer le poisson du jour, et le hachis d'aliments garnissant l'intérieur de certaines préparations culinaires ? Élémentaire, mon cher... Pierrot : au Moyen Âge, par analogie avec celle de la viande, on appelait « farce » (farsa, dans le latin de l'époque) cet intermède en langue vulgaire qui venait aérer les cérémonies religieuses. De là à l'histoire plaisante destinée à illustrer un propos, puis à l'action du même tonneau, il n'y avait qu'un pas, qui serait allègrement franchi dès la Renaissance.
Mais je... m'arête là. (Poisson d'avril, bien sûr !)