Inclinaison, inclination...
et autres penchants parfois coupables !
Parmi les dix que nous soumet cette année la Semaine de la langue française et de la francophonie figure le mot penchant. Dès lors, l'occasion était belle de rappeler ce qui est censé faire la différence entre inclinaison et inclination, des paronymes que nous sommes de plus en plus... enclins à confondre !
Longtemps, pourtant, les choses se sont voulues claires : inclinaison devait être réservé à l'état, inclination à l'action. C'est ainsi que le premier seyait à l'obliquité permanente de la tour de Pise, le second à ce mouvement de la tête ou du buste qui traduisait respect ou acquiescement. Il était en outre entendu que, si celui-ci était autorisé à s'écarter des sentes du sens propre pour s'aventurer sur celles, autrement exaltantes, du figuré (inclination a eu très tôt pour synonymes appétit, attrait, désir, disposition, envie, goût, propension, tendance, voire affection et amour — ne parlait-on pas autrefois de « mariages d'inclination » ? —), il n'en irait jamais de même pour celui-là, inclinaison ne se voyant reconnaître d'autre « penchant » que celui, si l'on ose dire plan-plan, du terrain, du mur ou du toit !
Mais l'usage dispose quand la grammaire se borne souvent à proposer. Et Adolphe Thomas a beau souligner que « malgré leur parenté, inclinaison et inclination sont suffisamment différenciés pour que puisse être évitée toute confusion », le distinguo entre état et action n'en a pas moins, au sens propre, lentement mais sûrement, perdu de sa pertinence... et pas seulement pour l'homme de la rue ! On ne compte plus, en effet, les écrivains qui emploient l'un au lieu de l'autre. C'est par exemple Théophile Gautier qui, dans Le Capitaine Fracasse, décrit chez un hôtelier de « respectueuses inclinaisons de tête ». C'est Maurice Barrès qui, pour le coup moins inspiré que sa Colline, prête à son tour à l'un de ses personnages de « grandes inclinaisons de tête et de corps ». C'est Roger Martin du Gard encore qui, dans ses Thibault, fait esquisser à l'un des siens une « vague inclinaison de tête ». C'est Simenon enfin qui, dans Les Vacances de Maigret, voit un salut dans une « inclinaison du buste ».
Au demeurant, il y a pis : quand l'habitude se serait heureusement perpétuée de faire de la seule inclination l'interprète des mouvements de notre cœur, cela n'a pas empêché de grands noms de notre littérature de s'emmêler les plumes d'oie. « N'es-tu porté d'inclinaison pour aucune fille du pays ? », s'enquiert sans vergogne George Sand dans François le Champi. Quant à Martin du Gard, dans Jean Barois cette fois, il récidive de façon éhontée : « Ce que j'éprouve pour elle, au fond, c'est tout bêtement une inclinaison sentimentale, une sympathie... amoureuse. »
Il ne fait aucun doute, en tout cas, que ce que cherche à entretenir le ministère de la Culture par le biais de cette nouvelle opération est précisément cette... inclination que chacun d'entre nous se devrait d'éprouver pour sa langue maternelle. Cela suffira-t-il à faire oublier que la malheureuse, sacrifiée chaque jour un peu plus par nos élites sur l'autel de l'anglomanie triomphante, est sur une mauvaise pente et qu'elle n'en finit plus de s'incliner sur la scène internationale ? Rien, hélas, n'est moins sûr...