La pire des fessées,
c'est encore celle des dictionnaires...
Les féministes ne manquent jamais une occasion de stigmatiser le machisme de notre langue. C'est qu'elle a été longtemps codifiée par des hommes, et pour des hommes ! Cela dit, et à y bien regarder, les enfants ne sont pas davantage à la fête : force est de reconnaître que le lexique ne leur fait guère de cadeaux...
Le mot enfant lui-même, quand on ne s'en aviserait plus toujours, est révélateur d'une incapacité : l'infans latin est en effet, au regard de l'étymologie (in privatif et fari, « parler »), celui qui ne peut pas encore s'exprimer — si seulement c'était vrai, persifleront bien des parents ! On remarquera d'ailleurs que les autres avatars d'infans ne sont pas mieux lotis : le fantassin, engagé dans... l'infanterie, est celui qui n'a pas l'âge de combattre à cheval, le fantoche un personnage sans consistance aucune !
Mais c'est surtout le sort que l'on a réservé aux adjectifs dérivés qui donne à réfléchir. Parmi les trois dont nous usons couramment, enfantin, infantile et puéril, il n'en est pas un pour racheter l'autre ! Encore le premier peut-il s'estimer heureux, dans la mesure où son acception initiale (« qui revêt le caractère de l'enfance ou est propre aux enfants ») est restée relativement vivace : la « littérature enfantine » ne souffre d'aucune arrière-pensée dépréciative et le « sourire enfantin » a toujours bonne presse. Mieux : l'intéressé prend plus souvent qu'à son tour le sens de « facile ». Voilà qui contrebalance, fût-ce partiellement, les autres utilisations, nettement moins gratifiantes, dudit adjectif : est-il vraiment besoin de souligner que « comportement enfantin » et « réaction enfantine » sont peu prisés, en particulier d'éducateurs qui n'ont de cesse que l'enfant ne devienne un adulte et laisse derrière lui... gamineries et enfantillages, vocables tout aussi suspects ?
Le cas d'infantile est déjà plus pendable. Certes, à sa naissance, si l'on ose dire, il ne signifiait rien d'autre qu'« enfantin ». Certes, au sens strict et technique du terme, il n'avait à l'origine, en tant qu'il renvoyait à la première enfance, pas grand-chose à se reprocher. Le XXe siècle lui aura pourtant porté un coup fatal. La médecine, la première, en a usé pour désigner un sujet dont le développement physiologique et psychologique s'est arrêté, justement, au stade de l'enfance... et le commun a suivi, s'en servant, par extension, pour tout comportement jugé incompatible avec l'âge adulte. Le dérivé infantiliser, à peine quinquagénaire, n'aura pas peu contribué, on s'en doute, à aggraver la situation !
Au demeurant, le plus à plaindre, et d'assez loin, semble bien être puéril. Rien ne le désignait pourtant à cet opprobre puisque le mot latin dont il descend, puer, s'appliquait au presque adolescent. Et de fait, là encore, le sens premier n'avait rien que de très honorable. La médecine, toujours elle, a longtemps parlé, à la suite de Laennec, de « respiration puérile » afin de qualifier chez l'adulte, à l'instar de ce qui se passe souvent chez l'enfant pour qui le murmure vésiculaire est plus marqué, une inspiration et une expiration plus bruyantes qu'à l'ordinaire. Dans le domaine de l'éducation, Érasme a pu écrire sans rougir un Traité de civilité puérile. Mais ces sens-là ont depuis belle lurette été balayés par une acception autrement péjorative, qui subsiste seule aujourd'hui. On n'utilise plus le mot qu'en mauvaise part, pour brocarder ici une « conduite puérile », là se moquer d'une excuse du même acabit...
Et du côté des expressions, hasarderez-vous ? Rien qui soit, hélas, de nature à remonter le moral de la jeune troupe. Faire l'enfant, agir comme un enfant, retomber en enfance disent assez que, là aussi, le discrédit domine. Seule exception pour confirmer la règle, la locution bon enfant. Du moins si l'on consent à oublier que la simplicité s'y trouve lestée de naïveté ! Non, décidément, pas gâtés les enfants ! Heureusement Noël arrive...