Bijoux, choux, joujoux...
et autres nés sous X !
Au pied du sapin, dans l'assiette à dessert ou autour du cou des invitées, ces trois-là seront les vedettes incontestées du prochain réveillon. Il est vrai qu'ils sont depuis longtemps habitués à jouer les stars. Avec caillou, genou, hibou et pou, ils constituent la plus fameuse liste d'exceptions que notre grammaire ait jamais engendrée.
De celles que l'on apprenait, avec la foi du charbonnier, à l'école primaire et qui constituaient l'un des cinq piliers de notre orthographe. Non que cette religion fît l'unanimité. « L'x des sept pluriels en -oux, affirmait dans Les Délires de l'orthographe l'historienne de la langue Nina Catach, n'est qu'un grigri ridicule dont la conservation depuis des siècles tient du miracle de Lourdes. » Pour autant, la réforme de 1990, que notre regrettée linguiste a portée sur les fonts baptismaux, n'a pas osé toucher à un seul cheveu de ce clan des sept. Sans doute parce que ces exceptions restent étonnamment populaires aux yeux de Français nostalgiques des dictées de la communale. Quand Bernard Pivot, en 1989, avait sondé ces derniers à propos d'un éventuel remplacement du x par le s, alors même que les trois quarts d'entre eux se disaient favorables à une retouche de l'orthographe « pour en supprimer quelques bizarreries et absurdités », ils en avaient rejeté l'idée à 63%. De quoi conforter le journaliste Claude Weill dans sa thèse : « Le Français, écrivait-il à l'époque dans Le Nouvel Observateur, tient à ses anomalies comme à ses droits acquis. (...) Ce qu'il aime dans la règle, c'est l'exception (il n'y a pas de loi en France qui ne souffre d'exceptions ; on n'a jamais créé un impôt sans prévoir en même temps les exemptions). L'orthographe, avec son cortège d'aberrations, satisfait son goût de la loi et de la transgression. »
À ce stade, on peut se demander si la pérennité de l'édifice ne tient pas au chiffre sept lui-même, magique et mystique s'il en est. Car ce club, qu'on se le dise, est des plus fermés. Chouchou, qui aurait logiquement dû avoir sa chance, n'a toujours pas été coopté : Larousse comme Robert le font poireauter sur le seuil du saint des saints. Grâce aux « Ripoux » de Claude Zidi, le verlan de pourri a un pied dans la place, mais un pied seulement. Les dictionnaires font là aussi de la résistance en maintenant (Larousse), voire en conseillant (Robert) la forme régulière ripous. Quant aux tripoux/tripous auvergnats, ces tripes accompagnées de pieds de mouton et de fraise de veau, ils ont eux aussi la double nationalité et ne peuvent donc se targuer d'appartenir totalement au peuple élu. C'est que n'accède pas au statut d'exception française qui veut !
Au demeurant, les postulants éconduits seraient fondés à pester : il s'en faut que l'on ait été aussi intransigeant par le passé et beaucoup se demandent encore aujourd'hui ce qui a pu valoir cet insigne honneur à nos sept larrons. D'aucuns avancent que ce x serait une abréviation de scribe destinée à économiser du parchemin et qui transcrivait le groupe us, surreprésenté dans la langue latine. Chous se serait ainsi écrit « chox », avant que l'on ne rétablît le u pour coller à la prononciation. Mais alors pourquoi ces sept-là auraient-ils été les seuls à garder le x ? D'autres invoquent, au singulier, une finale en l qui, de fait, les rapprocherait des schémas cheval/chevaux et ciel/cieux. Voilà qui fait merveille pour chou, genou et pou, lesquels se sont effectivement écrits chol, genoil et pouil. Mais dans ce cas pourquoi le cou et le fou (issus de col et fol) n'ont-ils pas eu droit aux mêmes égards ? Et par quel effet du hasard le verrou, anciennement verrouil, qui faisait jadis partie des exceptions, a-t-il dû mettre la clé sous la porte en 1762 et réintégrer le camp des réguliers ?
Allez, on y réfléchira l'année prochaine si tout va bien. En attendant, on vous fait sous le gui plein de bisous et de poutous. Avec ceux-là, au moins, on sait à quoi s'en tenir !