Sexe des villes, sexe des anges... (1)

Paris brûle-t-elle ?

< mardi 8 octobre 1996 >
Chronique

Telle est la question que nous pose, tout feu tout flamme, un lecteur de Merville : ne se serait-on pas fourvoyé en traduisant par « Paris brûle-t-il ? » la trop célèbre question d'Adolf Hitler au général von Choltitz ? Et le féminin n'eût-il pas mieux convenu à cette ville que les poètes ont aimée comme on aime une maîtresse ? Question épineuse s'il en est, et à laquelle nous ne saurions répondre dans le cadre étroit de ce seul article. Gardons-nous, en tout cas, de nous réclamer un peu trop vite de l'envolée lyrique du général de Gaulle, le 25 août 1944 à l'Hôtel de Ville : « Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même... » Si l'on constate, en effet, que le chef de la France libre penchait sans équivoque pour le masculin (il est vrai que la capitale venait de faire la preuve de ses mâles dispositions !), il ne s'agissait plus là de la ville proprement dite, encore moins des monuments que l'ennemi se proposait de faire sauter, mais de ses habitants, ce qui est tout différent. L'une des seules règles nettes en la matière précise bien que quand, par métonymie, c'est la population qui est en cause, le masculin est de rigueur. Notre Mervillois aurait beau jeu de faire valoir que le Führer en voulait, lui, aux hauts lieux de l'architecture parisienne bien plus qu'aux Parisiens. Pour une fois, la caution gaulliste ne nous sert donc de rien !

À l'appui de la thèse de notre lecteur, la tradition : toutes les villes, jadis, étaient du féminin, à l'instar du nom commun qui les désigne. Cela dit, l'usage actuel tendrait plutôt à une extension du masculin, et il semble que Paris n'y ait pas échappé. Les poètes, d'ailleurs, n'ont pas été les derniers à s'y conformer : Baudelaire parle du sombre Paris, Apollinaire du beau Paris, Cocteau d'un Paris inconnu. Quant à Aragon, il le trouve plus déchirant qu'un cri de vitrier. Pourquoi ce singulier revirement ? Nous tenterons d'y voir plus clair dans deux semaines...