Nouvelle orthographe :
vous avez dit cohérence ?

< dimanche 26 octobre 2008 >
Chronique

Vieille habitude héritée du temps où le Crédit Agricole parrainait ses championnats d'orthographe ? Toujours est-il que Bernard Pivot — invité, l'autre samedi, par Jean-Pierre Foucault et Laurence Boccolini sur le plateau de La Grande Interro — a invoqué le « bon sens » pour justifier le pluriel timbres-poste. Ne sont-ce pas, a-t-il fait valoir, des timbres émis par « la » poste ?

Ce cher Bernard, tout au livre qu'il vient de consacrer à une centaine d'expressions à sauver, n'a pas dû ouvrir récemment le Petit Robert. Il y aurait constaté qu'en matière de pluriel des noms composés le bon sens n'est plus qu'épisodiquement en action ! Comment motiver, autrement, ces petits-beurres, pourtant présentés comme des gâteaux faits au beurre ? Ces hache-pailles, ces lave-linges, ces porte-paroles et ces rabat-joies alors que l'on vous explique, dans les définitions qui suivent, qu'il est en l'occurrence question de hacher la paille, de servir au lavage du linge, de prendre la parole au nom de quelqu'un et d'éteindre la joie des autres ? On s'étonnerait presque d'avoir coupé aux « pare-soleils » mais faisons confiance à Alain Rey et à sa méthode rien moins que scientifique, il s'agit sûrement d'un oubli et ce sera pour la prochaine édition !

Que dire, encore, de ces « gratte-ciels », contre lesquels vient de s'élever — un peu tard, car voilà plusieurs années qu'ils se dressent avec arrogance dans le POF (paysage orthographique français) — Jean-Pierre Colignon : « Autant je suis favorable, précise-t-il, à une simplification raisonnée faisant disparaître des incohérences qui compliquent inutilement l'enseignement et l'apprentissage de l'orthographe, autant je m'oppose à des nouveautés qui introduisent des illogismes. » Avec l'édition 2009 du Robert, le voilà habillé pour l'hiver !

Comment en est-on arrivé là ? Les réformateurs de 1990 s'étaient réclamés, à bon droit, des contradictions qui peuplaient les dictionnaires d'alors (des serre-tête mais des couvre-chefs, des pèse-personne et des pèse-bébés, des porte-drapeau ou des porte-drapeaux, etc.) pour proposer que les mots composés ne soient plus perçus comme des tours syntaxiques mais comme des mots à part entière, appelés en tant que tels à prendre systématiquement la marque du pluriel au pluriel.

Cela supposait, par voie de conséquence, qu'ils ne la reçussent jamais au singulier : se trouvaient de fait légitimés le porte-avion, le sèche-cheveu et le tire-fesse, qui firent couler l'encre que l'on sait il y a quelque vingt ans, mais aussi le compte-goutte, le ramasse-miette et le serre-livre !

Quand nous aurions de beaucoup préféré que l'on s'assît autour d'une table pour réduire les contradictions précitées plutôt que de leur ajouter les « illogismes » dont parle Colignon ; quand nous ne partagerions pas cette vision « mécanique » de l'orthographe, laquelle fait la part belle à la paresse intellectuelle et nous prépare à des simplifications plus radicales encore, notamment sur le terrain de l'accord du participe passé, nous en respectons la volonté de cohérence. Mais où est cette dernière quand Robert conseille des grille-pains tout en continuant à imposer des gagne-pain ? quand pour lui cohabitent le casse-pied et le casse-couilles — entrerait-il ici en ligne de compte un critère de distance ? quand, on l'a vu, il considère qu'il y a plusieurs ciels mais un seul soleil ? quand il nous contraint à écrire bloc-note mais suggère, un peu plus bas, de remplacer blog par... bloc-notes ? Et c'est ainsi, aurait conclu Vialatte, que Robert est petit.