« Change we need ! » :
un slogan décidément universel...
Le politiquement correct nous l'a suffisamment fait savoir, mieux vaut, dans la vie publique, éviter de prononcer certains mots. Il en est d'autres, au contraire, qu'il sied de crier sur les toits. « Changement » est par excellence de ceux-là. L'élection présidentielle aux États-Unis vient de le confirmer, jusqu'à la caricature.
On comprend sans peine que Barack Obama se soit drapé dedans et qu'il en ait tapissé toutes les tribunes où il a pris la parole : un Noir à la Maison-Blanche, quadragénaire de surcroît, voilà qui ne renouvelle pas peu le paysage ! Mais n'allez pas croire pour autant que le camp d'en face lui en ait abandonné l'exclusivité sans barguigner : le candidat républicain avait beau afficher pour sa part la bagatelle de soixante-douze printemps ; affirmer haut et clair ses intentions de rester en Irak, prolongeant ainsi la politique étrangère de son prédécesseur, il eût été suicidaire de laisser croire qu'il n'était pas, lui aussi, l'homme du changement. On se transporta donc, à grand renfort de chasse-neige, en Alaska pour lui chercher une suppléante — nous ne nous faisons pas à colistière, a-t-on jamais parlé d'une « liste » pour deux éléments ? La compétence et l'expérience, la chose sauterait bientôt aux yeux, n'étaient pas nécessairement ses vertus cardinales, mais il importait surtout, changement oblige, que la doublure portât jupon. (Encore s'agit-il là d'une métaphore, on l'aura compris, l'intéressée étant plus souvent abonnée au jean qu'à la robe à crinoline !)
Car c'est ainsi : en notre ère médiatique qui, par la magie de l'image, voit, plusieurs fois par jour, nos dirigeants frapper à notre porte, s'inviter à notre table, s'allonger sur nos couches, on se lasse de tout et très vite. L'état de grâce une fois passé, on se languit d'autres noms, d'autres têtes. N'entendait-on pas, quelques heures à peine après le triomphe du candidat démocrate, que l'on allait fatalement être déçu, que les attentes étaient trop fortes pour pouvoir être satisfaites ?
Le mot est-il seulement digne du culte qu'on lui voue ? Rien n'est moins sûr, et ce ne serait d'ailleurs pas la première fois que l'on investirait un vocable de pouvoirs qu'il n'a pas. Déjà, par le passé, nous avons eu l'occasion de rappeler dans ces colonnes que le terme de réforme, quoi que l'on en pense souvent, et n'en déplaise à tous ceux qui, de droite ou de gauche, s'en gargarisent jusqu'à plus soif pour paraître dans le vent, est beaucoup plus réactionnaire que progressiste : reformare ne signifiait-il pas en latin « rendre à sa première forme », autrement dit restaurer l'état ancien ?
De la même façon, au regard de l'étymologie, le « changement » est tout sauf un bouleversement, une révolution. Il relèverait bien plutôt — héritier qu'il est du bas latin cambiare, « échanger » — du troc. Du remplacement d'une chose par une autre... et, comme si ça ne suffisait pas, de même valeur... Tout cela est tellement vrai que, dans son infinie sagesse, cette opinion versatile qui réclame le changement sur l'air des lampions en vient rapidement à se demander, l'engouement retombé, si elle ne va pas, finalement, perdre... au change ! Pouvons-nous en déduire que l'étymologie est beaucoup moins éloignée de la vie qu'on ne le pense généralement ? Comme dirait l'autre : « Yes, we can ! »