Attention :
un krach peut en cacher un autre !
Il n'y a pas que sur les places boursières que les actions s'effondrent : la cote de l'orthographe aussi est au plus bas. La seule différence, c'est que personne ne semble s'en émouvoir et qu'aucune mesure de renflouement n'est prévue...
On nous fera observer que nos dirigeants ont actuellement d'autres banquiers à fouetter. Mais la conjoncture n'était pas plus sereine en 1990, en pleine guerre du Golfe, et c'est une levée de boucliers qui avait accueilli les propositions des réformateurs ! Devant le tollé, il avait été décidé de soumettre ces dernières à « l'épreuve du temps ». Auraient-elles, depuis lors, reçu l'onction de ce sacro-saint usage dont chacun se réclame hypocritement ? Rien n'est moins sûr. Mais on a visiblement pris le parti de faire comme si.
L'Éducation nationale a dégainé la première. Depuis plusieurs mois, de façon larvée pour ne pas heurter une gent professorale plutôt méfiante, les pressions — plus ou moins officielles — se multiplient pour que soit seule enseignée et prise en compte la « nouvelle orthographe ». Qui s'en étonnera ? De même qu'au bac on lâche du lest pour ne pas avouer que le niveau baisse, on simplifie ce que l'on ne peut plus enseigner. Ce ne serait d'ailleurs pas la première fois qu'au grand dam de ceux qui la « font », l'école rapproche le piano au lieu d'avancer le tabouret !
Mais voilà qu'un autre apprenti sorcier — fort, sans doute, de ce parachute doré que constituent des ventes dopées par le parfum du scandale — se met à spéculer sur l'attrait de la modernité. Le Petit Robert 2009 a, de son propre chef, résolu d'admettre, voire de conseiller, ce que jusqu'ici il n'avait fait que mentionner. N'allez pas croire pour autant — Alain Rey s'en défend dans sa mise au point liminaire — que l'on joue là « les réformateurs par principe » : si acuponcture l'emporte dorénavant sur acupuncture, c'est que l'usage, toujours lui, est en faveur du premier. Reste à savoir à quelle aune on l'évalue : la Toile consacre dix fois moins de pages francophones au favori du Robert qu'à la graphie traditionnelle. Comprenne qui pourra !
Le reste obéit à des critères tout aussi scientifiques. On se dépense beaucoup pour portemonnaie, mais on met la sourdine sur porte-voix. On est à la pointe sur dansoter, mais on la boucle davantage sur frisotter, lequel conserve d'un poil le meilleur sur frisoter. On se mouille moins pour la sécheresse qu'on ne l'a fait, naguère, pour l'assèchement. Bref, Robert fait son marché sur les étals de la réforme, retenant ci, rejetant ça, sous le couvert d'une méthode qui, en réalité, ressemble beaucoup au fait du prince. Car l'usage qu'il invoque — ô surprise ! — n'est pas celui de Larousse. Chez ce dernier, les formes rectifiées, égrenées par acquit de conscience en onze interminables pages, ne figurent quasi jamais, elles, à la nomenclature et devinez pourquoi ? Parce qu'elles n'ont pas été « entérinées » par l'usage, pardi ! La preuve est faite que Robert et Larousse ne vivent pas dans le même monde. Là où celui-ci ne connaît que le bloc-notes, le lance-flammes et le sèche-cheveux, Robert admet sèche-cheveu (peut-être a-t-il sondé Nimbus ?), prône lance-flamme et impose bloc-note. À la cahute, au chariot et à la dentellière de l'un font désormais écho la cahutte, le charriot et la dentelière de l'autre. De quoi interpeller — ou interpeler, c'est selon ! Au fait, et sans vouloir persifler ni persiffler, nous croyions que ce qui motivait les réformateurs de 1990, c'était d'en finir avec les graphies multiples et les dictionnaires qui se contredisent ? Encore bravo, c'est réussi !