Le Clemenceau erre toujours comme une âme en peine...
Quand le bâtiment va, rien ne va !
Voilà bientôt onze ans que l'auteur de ces lignes s'évertue, quinzaine après quinzaine, à éviter les sujets bateau. Mais comment, cette fois, passer délibérément sous silence le pathétique calvaire de notre Clemenceau ? D'autant que pour le chroniqueur du langage, c'est là pain quatre fois bénit ! Voilà qui permet en effet de rappeler que le Tigre rugissait grave — pardon pour cette lâche concession au jargon branché d'aujourd'hui — chaque fois qu'on le coiffait indûment de l'accent... aigu ; qu'amiante, en dépit de sa terminaison, a en réalité la fibre masculine ; que porte-avions continue, envers et contre toutes les torpilles réformatrices, à arborer un s dès le singulier... Voilà surtout qui fournit audit chroniqueur l'occasion de définir, de la plus concrète des façons, un terme trop souvent méconnu de notre lexique, celui de palinodie. Certes — et nos dictionnaires, en invoquant invariablement les « palinodies des hommes politiques », ne contribuent pas peu à ancrer l'idée —, chacun sent confusément que ce synonyme de « revirement », de « volte-face » a été taillé sur mesure pour ceux qui, d'une main supposée ferme, font profession de nous gouverner. Mais qui sait vraiment qu'à l'origine il s'agissait d'un chant (-odie) dans lequel l'auteur reniait ce qu'il avait écrit antérieurement ? Ce palin-là, qui signifiait en grec « de nouveau », est celui que nous retrouvons dans le palimpseste, ce parchemin dont on a gratté la première écriture pour pouvoir le réutiliser ; dans la palingénésie, retour cyclique des événements chez les stoïciens ; et naturellement dans le palindrome qui, à l'instar du verbe ressasser, peut être lu de droite à gauche après l'avoir été de gauche à droite. C'est égal : un étymologiste aurait-il pu rêver, afin d'illustrer cette palinodie, rétractation plus exemplaire, contrordre plus édifiant que ce retour au bercail... sobrement évalué à un million d'euros ?
Si la grandeur d'un pays se mesure à ses « parts d'ombre », pour reprendre une expression récente du chef de l'État, la France est sans nul doute un grand pays. Pas au point, cela dit, de maintenir à flot l'Institut français de Vienne, lequel, économies obligent, fermera ses portes à quelque deux mille étudiants, à la fin du mois. De ce côté-là, hélas, il semble bien qu'il ne faille point trop compter sur une palinodie supplémentaire... Si pugnaces qu'elles soient, les associations de défense du français n'ont pas, il s'en faut, le pouvoir de nuisance de Greenpeace...