Pour réveiller le pays, un poète à Matignon ?

La France dans les bras d'Orphée

< mardi 14 juin 2005 >
Chronique

L'heureux temps n'est plus où Jacques Chirac, trois doigts altiers brandis vers le ciel, surfait sur la vague bleue du Mondial. Aujourd'hui, ce serait plutôt : « Allez, les vers ! ». Non pas ceux, rassurez-vous, qu'invoquent déjà ces cassandres qui prédisent la fin imminente du chef de l'État — le bougre n'est pas homme à se laisser enterrer politiquement avant l'heure — mais bien plutôt ces autres vers auxquels le nouveau Premier ministre, grand lyrique devant l'Éternel, vouerait un véritable culte. Rien de tel pour tirer la France de sa léthargie, on en conviendra, que de la jeter dans les bras d'Orphée : après cela, qui osera insinuer que l'action gouvernementale ne rime à rien ? Les amateurs de beau langage sont en droit d'attendre, en tout cas, une communication d'une autre tenue littéraire que les raffarinades d'antan. On savoure déjà la forme qu'à n'en pas douter prendra la prochaine campagne de prévention de la canicule : quelque chose d'hugolien comme « Donne-lui tout de même à boire, dit mon père. » Quant au calvaire de la rose socialiste, écartelée entre défenseurs et détracteurs du traité, il y a gros à parier qu'il sera désormais évoqué avec gourmandise, dans les couloirs de Matignon, sur un air de Ronsard : « Languissante, elle meurt, feuille à feuille déclose... » voire de Malherbe, pour peu que le congrès de novembre tourne au pugilat : « Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, l'espace d'un matin... » ! Les relations avec Sarko ? Forcément excellentes car, comme ne manquera pas de le jurer, en plagiant Racine, un chef du gouvernement sans arrière-pensées : « Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur. » Et si règlement de comptes il devait malgré tout y avoir, gageons que — Racine encore — les apparences, grâce à l'alexandrin, seraient sauves : « J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer. » Aussi bien, l'essentiel est de faire la nique à son prédécesseur et de lui démontrer, nouveau Baudelaire, que l'on vaut mieux que lui : « Tu m'as donné ta boue, et j'en ai fait de l'or. » Mais si, au terme des cent jours, le succès n'était pas au rendez-vous ? Si l'histoire bégayait, et que l'on eût droit derechef à « Waterloo ! morne plaine... » ? Eh bien, le compagnon des Muses saurait assumer. On l'entend d'ici annoncer sa démission au vingt heures de PPDA : « Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, je partirai. » Ça aurait de l'allure, non ?