On le dit fichu, comme l'as de pique !

Saddam, le manillon faible ?

< mardi 22 avril 2003 >
Chronique

Chacun savait que c'était là l'ambition déclarée de George Bush : envoyer Saddam Hussein au tapis. On ne pensait pas, cela dit, qu'il s'acquitterait de sa mission au pied de la lettre, au point de faire de sa bête noire la figure d'un jeu de cartes qu'il distribuerait à tous ses G.I. ! Vous nous direz : mieux vaut qu'ils tirent dans ce tas-là que dans un autre. Et dans le camp de la paix — vous savez, celui qui avait préféré jouer la carte de l'ONU — on n'hésite pas à surenchérir : plutôt taper le carton que d'en faire un ! C'est égal : si l'on peut comprendre que l'on s'offre un bridge après avoir sécurisé les ponts de Bagdad, beaucoup trouveront incongru ce laisser-aller alors que, l'aide humanitaire marquant le pas, les seuls talons qui retiennent l'attention des autochtones sont ceux, c'est humain, dans lesquels s'est réfugié leur estomac. Et à tant faire que de tenir la banque, insisteront les mauvaises langues, ne faudrait-il pas commencer par défendre celle d'à côté, que mettent impunément à sac les pillards ? Mais coupons là. Le chroniqueur du langage n'a pas vocation à contrer les politiques, tout au plus lui revient-il de révéler le dessous des cartes lexicales. De s'étonner, par exemple, de la confusion, parfois lue, souvent entendue, entre les verbes opprimer et oppresser. Certes, ces deux-là, d'ailleurs issus d'un seul et même vocable latin, ont autrefois été interchangeables, comme en témoigne toujours le substantif oppression, qui s'applique indifféremment à l'asservissement et à la suffocation. Aujourd'hui, pourtant, il n'est plus question d'employer un verbe pour l'autre. Au premier l'action de « soumettre à une autorité injuste ou violente », au second celle de « gêner dans ses fonctions respiratoires », cette compression d'ordre physique pouvant le cas échéant se muer en étouffement moral. On se gardera donc d'écrire que le peuple irakien a été « oppressé » par le raïs, lequel, en oppresseur qu'il était bien, ne pouvait guère... qu'« opprimer » ses sujets — on va encore insinuer que le français est ardu, cela, si l'on ose dire, ne fera pas un pli ! Les seuls à pouvoir arguer de leur statut d'oppressés sont ceux qui ont souffert de l'arme chimique. Hélas, ces malheureux n'ont plus à se soucier du mot juste.