À propos d'antiaméricanisme...

Discours sur l'état du trait d'union

< mardi 24 septembre 2002 >
Chronique

Si on a tout essayé avec Claude Sarraute, chaque soir ou presque chez Ruquier, on aura tout vu avec son académicien de mari, Jean-François Revel. Celui-ci ne vient-il pas de consacrer un livre entier à l'antiaméricanisme ambiant ? Antiaméricanisme auquel, pourquoi ne pas l'avouer, nous avons pour notre part peine à croire. Peut-on vraiment détester un pays qui vous met à l'ombre si vous laissez vos enfants au soleil ? Qui vous demande gentiment de bien vouloir déclarer, dès que vous faites mine d'atterrir sur son sol, si vous faites partie d'une organisation terroriste ? Quelque invraisemblable que tout cela paraisse, voilà qui nous permet déjà de rappeler à nos compatriotes — souvent prompts, en l'espèce, à abuser du trait d'union — que le préfixe anti se soude presque toujours au mot qui le suit. Pour qu'il en aille autrement, il faut que ledit mot soit un nom propre, géographique ou non (Anti-Atlas, Anti-Liban... voire anti-Giscard) ; un nom composé (on ne voit guère, pour l'heure, qu'anti-sous-marin, mais anti-porte-avions a de beaux jours devant lui à présent que l'on envisage de cloner le très contesté Charles-de-Gaulle) ; un terme commençant par un i (anti-impérialiste, anti-infectieux, anti-inflammatoire, anti-inflationniste, anti-intellectuel) ou encore constitué d'une seule lettre, à l'image de cette combinaison anti-g que MAM, notre sémillant(e) ministre de la Défense, a sûrement revêtue lorsque, en tout bien tout honneur évidemment, elle s'est envoyée en l'air avec l'élite de nos pilotes de chasse. Les grammairiens ajoutaient jusqu'ici à cette courte liste d'exceptions ce qu'ils appelaient les « créations de circonstance » : c'est ainsi que le livre de Revel passe allégrement de l'antiaméricanisme, qui a reçu l'onction des dictionnaires, à l'obsession anti-américaine (avec trait d'union, l'adjectif, lui, n'étant pas homologué). Mais il n'est que trop clair que ces « formations occasionnelles » n'ont pas vocation à le rester indéfiniment. En témoigne le trait d'union d'anti-tabac, pour lequel Girodet faisait naguère campagne, et qui, chez Larousse comme chez Robert, est aujourd'hui parti... en fumée. Il ne reste plus aux accros de la dictée de Pivot qu'à se confectionner en toute hâte une antisèche !