Sur la plage, les pavés !

Quand les livres sortent du bois...

< mardi 31 juillet 2001 >
Chronique

A-t-on suffisamment versé de larmes sur la mort inéluctable d'un livre que l'on disait n'être plus à la page, phagocyté qu'il était par le ludique et si séduisant cédérom ! Le moribond va bien, merci : il suffit de le voir fleurir sur les plages pour deviner qu'il a encore quelques belles journées de farniente devant lui. Au demeurant, les cassandres ne croient pas si bien dire en insinuant que pour le susdit, ça sent le sapin. Il ne s'agirait même là que d'un juste retour des choses car, quand on l'oublierait, c'est dans ce terreau-là que notre livre plonge ses racines : le liber qui est à l'origine de son nom, et qui désigne aujourd'hui encore le tissu végétal conducteur de la sève, n'est autre que la pellicule située entre le bois dur et l'écorce de l'arbre. C'est de cette mince feuille prélevée sur la partie la plus blanche du tronc, l'aubier, que les Romains usaient pour écrire avant que le papyrus ne soit massivement importé d'Égypte. C'est donc par métonymie (cette habitude, des plus répandues, que nous avons de désigner le tout par la partie) que le mot s'est appliqué au livre... et par tradition qu'il s'est maintenu alors même que le liber était abandonné au profit du papier, obtenu à partir de bandes découpées dans la tige du papyrus. Ce que l'on sait peut-être moins, en revanche, c'est que l'autre nom du livre, le beaucoup plus familier et néanmoins sympathique bouquin, a grosso modo marché sur les mêmes brisées étymologiques. Emprunté à un diminutif (boekjin) du moyen néerlandais boec, cousin — germain, c'est le cas de le dire — de l'anglais book et de l'allemand Buch, celui-là remonterait, si l'on en croit Alain Rey dans son Dictionnaire historique de la langue française, à un certain boka qui se rapportait... au hêtre ! Le bois de cet arbre, précise le lexicographe, aurait en effet servi de matériau pour les tablettes qui accueillaient les runes. Bernard C. Galey abonde d'ailleurs dans ce sens quand il constate, dans son Étymo-jolie (éd. Tallandier), que les lettres de l'alphabet allemandes, dites Buchstaben, signifient littéralement « bâtons de hêtre ». Et vous voudriez que le livre prît ombrage de ces pâles ersatz que nous fournit depuis peu l'informatique ? Le drôle a ce qu'il faut, dans son arbre généalogique, pour se rattraper aux branches : ne nous cassons donc pas le tronc pour lui !