Accords, désaccords

Le fond de l'air... effraie !

< mardi 6 février 2001 >
Chronique

Qui a dit que l'emploi du mot juste était devenu le cadet de nos soucis ? Il ne se passe pas une semaine sans que l'on nous consulte sur tel ou tel point épineux de notre grammaire. Cette fois, c'est un lecteur de Saint-Martin-Boulogne qui nous prie d'arbitrer un « litige amical », lequel, précise-t-il, l'oppose à une de ses belles-filles ! N'étant pas du genre à minimiser les conflits de cette sorte, encore moins à les éluder d'un désinvolte « Beaucoup de brus pour rien », volons sans plus attendre au secours de cette cellule familiale en péril... La pomme de discorde est la suivante : dans l'expression il a l'air fin, l'adjectif fin s'accorde-t-il avec le nom air ou avec le pronom il ? Si, dans l'exemple proposé, le dilemme est de pure forme, il n'en va pas de même lorsque le sujet est du féminin. Une femme aura-t-elle l'air fin ou l'air fine ? Le recul s'impose. Si la locution avoir l'air donne lieu à ces hésitations, c'est qu'elle est susceptible de deux interprétations différentes. Quand air est pris dans son sens premier et renvoie clairement à la mine, à la physionomie, voire à l'allure d'une personne, il est normal qu'il décide de l'accord. En revanche, quand avoir l'air ne signifie rien d'autre que « sembler, paraître », l'accord se fait avec le sujet. C'est presque toujours le cas, on s'en doute, lorsque ledit sujet est une chose. On dira bien évidemment : Ces mesures ont l'air sérieuses, ces sapins ont l'air vrais. Ni les premières ni les seconds ne sauraient en effet revendiquer une physionomie ! Pour que l'accord se fît avec air, il faudrait qu'il y eût personnification, ou que le mot air soit suivi d'un complément, comme en témoigne cet exemple cité par Grevisse : Aucune rose n'a l'air suspect de l'orchidée. Quand le sujet est une personne, les deux interprétations sont souvent possibles et l'on dira tout aussi correctement d'une femme qu'elle a l'air doux (si l'on pense à l'expression de son visage) ou l'air douce (si l'on entend par là qu'elle semble douce). Dans le litige évoqué plus haut, nous penchons nettement pour l'air fin, la confusion se peignant essentiellement sur le visage. À moins que, dans un tout autre sens, il ne se soit agi d'indiquer qu'à première vue cette femme paraissait intelligente ? Il ne sera pas dit, en tout cas, que nous n'aurons pas tout fait pour sauvegarder la paix des familles...