Quand la baisse
du niveau orthographique
en vient à... crever l'écran !
Par le truchement du bandeau cher aux chaînes d’information en continu, plus d’un téléspectateur aura appris la semaine dernière que « A. Delon veut qu’on le laisse creuver en paix ». Le message a même tapé l’incruste pendant une longue minute, devant des yeux que l’on voudrait croire ébahis. Mais est-ce si sûr ?
Gageons en tout cas que se bousculeront à la barre nombre d’avocats du diable qui plaideront les circonstances atténuantes, voire rejetteront la faute sur cette langue infichue de faire en sorte qu’à un seul son corresponde une seule graphie. Puisque l’âge et l’expérience (les deux, hélas, vont souvent de pair) nous ont enseigné le pragmatisme, nous nous abstiendrons de pinailler sur la pertinence de leur alibi. Qui, en effet, est encore à même d’entendre, et a fortiori de faire entendre, la différence entre crever et creuser ? Si elle est censée exister — les dictionnaires qui fournissent la transcription phonétique en font foi —, elle est suffisamment ténue à l’oreille du commun des mortels pour que l’on y regarde à deux fois avant d'enfourcher ce dada-là.
En revanche, il n’est pas interdit de penser que celui (ou celle, ces temps inclusifs ne pouvant plus être ceux, bénis, où le seul masculin, sous le couvert du neutre, endossait toutes les responsabilités) qui est à l’origine dudit bandeau a bien dû avoir la crève, un jour ou l’autre ! Il est tout aussi probable qu’il (ou elle) aura déjà eu l’occasion, en syndiqué(e) qui se respecte, de pester contre cet univers aux cadences infernales, que l’on n’hésite jamais à présenter comme celui du « Marche ou crève ». Comment diable un « eu » pourrait-il se muer, par la magie de la seule conjugaison, en ce « è » qui, lui, ne souffre aucune contestation ? Viendrait-il à l’idée de quiconque d’avoir… la creuve ?
Bien souvent, il suffit d’un minimum de réflexion pour résoudre un problème qui n’en était pas vraiment un. Mais nous n’avons plus de temps pour ça. Plus de courage non plus, c’est à craindre, ce genre de démission risquant fort de nous précipiter dans les bras d’un Chat GPT dont on découvre déjà — il n’aura pas fallu longtemps — la propension à nous endoctriner. Car ce n’est pas de l’intelligence artificielle, si oxymorique que nous paraisse l’expression, qu’il faut avoir peur. C’est bien plutôt de celle, trop humaine, du programmeur, laquelle, sous prétexte de nous mâcher le travail, nous fera avaler bien des couleuvres.