À l'occasion de la Saint-Bruno
Faisons notre béat !
Comment ne pas avoir une pensée, en ce 6 octobre, pour notre saint patron, dont on oublie volontiers — chartreuse oblige ! — qu'il enseigna la grammaire à Reims, au XIe siècle ? Qui, mieux que ce lettré, nous expliquerait que l'habit n'a jamais suffi à faire le moine et que l'emploi de ce dernier terme pour désigner l'occupant d'un monastère constitue, au premier chef, un pied de nez à l'étymologie ? La racine grecque monos rappelle en effet que le moine est censé vivre « seul », en ermite. (Notons au passage que c'est à bon droit que celui-là, qui dérive d'erêmos, « désert », s'est dépouillé du h dont il s'encapuchonna contre toute logique jusqu'au XIXe siècle.) Par nature, donc, le moine authentique est beaucoup plus proche de l'anachorète (qui, étymologiquement, « s'éloigne du monde ») que du cénobite (lequel « vit en communauté ») : une fois de plus, l'érudit a proposé et la rue disposé ! Autre preuve, s'il en était besoin, de l'imagination débordante dont est capable l'usager de la langue : la nombreuse descendance de ce moine au sein de notre lexique. Par allusion, le plus souvent, à la forme de son capuchon, on donna en effet son nom à un phoque, à un palmipède, à un squale... et même à un vautour ! Concession au cliché rabelaisien qui voulait que le moine, réputé grassouillet, fût plus épris de confort que ne l'y incitait la règle ? Toujours est-il que le mot s'appliqua aussi au récipient dans lequel, autrefois, on plaçait des braises pour chauffer le lit... On usa encore du mot en imprimerie, pour qualifier l'endroit d'une feuille resté blanc, les caractères n'ayant pas pris d'encre : sans doute songeait-on là à la robe immaculée de certains religieux... Et l'on vous fait grâce de la toupie, de la boursouflure qui se produit sur le fer quand on le forge, de la partie antérieure du moule à coupeller, de la masse pointue pour enfoncer les chevilles à têtes perdues, du morceau d'amadou destiné à allumer un fourneau de mine et de la coquille univalve, que recensaient encore les dictionnaires il y a à peine un demi-siècle. Pas si mal pour ce solitaire qui entendait fuir tout commerce avec la société !