Attention !
un engouement
peut en cacher un autre...
Sous ce soleil connu pour ne rien éclairer de nouveau, et au seuil d’une année bissextile qui s’annonce plus longue encore que d’habitude, de quel côté se tourner pour dérouter la routine... sinon vers l’étymologie ?
Force est de reconnaître que celle-là n’a pas sa pareille pour faire du ressassé de l’inédit, de l’habituel du jamais-vu, bref, pour transformer la fange en or ! Il est peu de mots en effet qui, sous sa houlette, ne se découvrent une nouvelle jeunesse, voire une raison d’exister. Un exemple entre mille : cet « engouement » dont usent volontiers des médias qui ne craignent rien tant que la mesure et le train-train.
Il y a quelques jours à peine, votre chroniqueur de langue préféré ne le connaissait lui-même que pour ce « e » que certains oublient purement et simplement, quand d’autres le troquent contre un accent circonflexe sur le « u » qui précède. Moindre mal puisque ce dernier, quand il n’aurait pas attendu la récente réforme pour jouer la fille de l’air, témoigne de l’existence d’un verbe du premier groupe qui se fait plus rare, lui, dans nos écrits : s’engouer. Gageons que nombre de ceux qui l’utilisent encore le font avec le sentiment de donner dans le langage élégant — autrement recherché, en tout cas, que les « s’emballer » et « s’enticher » propres au vulgum pecus...
Combien ils se trompent ! Le Dictionnaire historique de la langue française ouvert depuis lors nous apprend au contraire que nous sommes là dans un français tout ce qu’il y a de trivial. L’élément goue serait en réalité une variante dialectale de joue : loin de s’appliquer, à l’origine, à l’enthousiasme débridé que l’on sait, il n’était question de rien d’autre que de… s’étrangler. L’« engoué », à l’image du bébé qui s’étouffe pour avoir avalé trop vite, était d’abord celui qui avait le gosier obstrué.
Et pour peu que cela ne suffît pas à nous ramener sur le terrain des réalités les plus prosaïques, le Petit Larousse serait là pour en rajouter dans le sordide. Ne précise-t-il pas que l’engouement, médicalement parlant, c’est l’« obstruction de l’intestin par les matières fécales au niveau d’une hernie » ?
Il n’y a guère que l’étymologie pour oser ainsi nous rappeler qu’en français un seul et même mot peut servir, sous la plume d’un Stendhal, à traduire la passion de la musique italienne et, au bloc opératoire, à diagnostiquer une occlusion intestinale. Ça vous en… bouche un coin, non ?