Enfin une grammaire
dont on peut dire
qu'elle se mange sans faim !
Fins lettrés, les lecteurs de cette rubrique se souviennent sûrement d’un Gargantua dont l’âme se transportait dans la cuisine dès qu’il avait « étudié quelque méchante demi-heure, les yeux assis dessus son livre ».
Le coup de génie de Sylvie Brunet et de Serge Bernardin restera sans conteste d’avoir installé, pour gagner du temps, la bibliothèque dans ladite cuisine ! Cette « grammaire à croquer », récemment publiée aux éditions First, ne l’est pas seulement au figuré, ce qui ressortirait à la platitude ; mais aussi au sens premier du terme, tout étant ici prétexte à célébrer la bonne chère, au point de faire saliver d’un bout à l’autre de l’ouvrage. Partant, comment n’en point parler un jour de Saint-Sylvestre, à quelques heures des agapes programmées que vous savez ?
Nous avons bien dit tout. De la mise en bouche, version culinaire d’un « avant-propos » qui n’est jamais apparu aussi terne, au pousse-café qui achèvera de vous griser de quelques saillies étymologiques bienvenues, il n’est ici question que de franches lippées. Dans les tableaux de conjugaison, plus trace des aimer, finir ou suffire qui nous laissaient jusqu’ici sur notre faim : place aux manger, pétrir et cuire ! Qui ira nier que ce soit autrement convivial ? Les règles dont on dénonce le caractère volontiers byzantin nous sont ici présentées comme des recettes, ce qui n’aide pas peu à les digérer. Quant aux exemples destinés à les assaisonner, pas un qui ne prenne pour cadre l’ambiance festive du gueuleton dûment arrosé : outre le Rabelais évoqué plus haut — qui, si l’on ose dire, arrive ici comme mars en carême —, voici la Ségur de L’Auberge de l’Ange gardien, le Zola de L’Assommoir, et même le Desproges de Encore des nouilles !
Que vous sacrifiiez ou non au péché de gourmandise, on ne saurait trop vous recommander la carte des desserts, véritable cerise sur le gâteau : vous n’en sortirez qu’avec la conviction profonde, pour peu que vous ne l’ayez pas déjà, qu’en français mets et mots ont toujours eu partie liée : nos fromages qui puent, ce sont nos participes passés ; nos condiments, si propres à relever la ragougnasse du quotidien, ce sont nos accents circonflexes ; nos grands crus classés, nos imparfaits du subjonctif, lesquels ravalent la concordance des temps dégénérée d’aujourd’hui au rang du gros qui tache. Prions pour que l’année à venir, que nous vous souhaitons aussi heureuse que possible, ne pousse pas davantage notre langue sur la voie de la restauration rapide…
La grammaire à croquer (recettes gourmandes pour apprendre la grammaire), par Sylvie Brunet et Serge Bernardin (éd. First) ; 128 pages, 19,95 €