Il était une foi en notre langue :
l'éternel Claude Duneton !
Les lecteurs de cette chronique se souviennent certainement de Claude Duneton, lequel nous a quittés voici onze ans pour aller décortiquer in situ le langage des anges. À chacun son paradis, après tout !
Si, par extraordinaire, lesdits lecteurs devaient avoir un trou (nous voulons dire de mémoire, l’autre viendra toujours assez tôt), il suffirait de leur mettre… la puce à l’oreille pour qu’ils se souvinssent de l’ouvrage du même nom, véritable bible de ceux qui entendaient pénétrer les arcanes de notre langue, et même des autres. Mais ce succès d’édition ne fut pas, il s’en faut, l’unique fleur de sa composition, l’« absente de tous bouquets » d’un certain Mallarmé. Outre la chronique de langue qu’il tenait pour sa part dans le Figaro littéraire, il faudrait citer cet autre Bouquet (avec une majuscule cette fois), encyclopédie thématique des expressions imagées de notre lexique ; son Je suis comme une truie qui doute, cri de détresse de l’enseignant déboussolé ; sa Mort du français, au titre aussi prémonitoire que glaçant, hélas !
Quand il ne nous appartiendrait évidemment pas de faire parler les morts, il y a gros à parier qu’il eût été, lui l’Occitan de culture, le premier indisposé par les assauts que ne cesse de subir notre langue, qu’ils viennent de l’anglomanie galopante, de l’écriture inclusive ou des renoncements successifs de la nouvelle orthographe. Sévère mais lucide, n’écrivait-il pas des linguistes qui sont à l’origine de cette dernière que « tout mouvement les ravit qui, en leur donnant du grain à moudre, alimente leur petit commerce » ?
Mais, on ne le répète que trop souvent par ces temps qui poignardent, l’heure est moins à la polémique qu’au souvenir et au recueillement. Ô combien symbolique, le fait que l’auteur du Monument — ce roman voué, au soir de sa vie, aux Poilus de la Grande Guerre —, se voie aujourd’hui consacrer un « tombeau » (c’est ainsi, on le sait, que l’on désigne une œuvre réalisée en l’honneur d’un artiste disparu). L’originalité de celui-ci, c’est qu’il s’agit d’une œuvre collective : à l’initiative de Catherine Merle, Gisèle Joly et Pierre Chalmin, ce sont plus de cent plumes (avant tout des amis) qui se sont mobilisées pour rédiger cet émouvant Claude Duneton, façon puzzle.
Pour cet ermite sociable, pour ce « philanthrope misanthrope » comme le définit d’un bel oxymore l’un des intervenants, une unanimité qui vaut bien nos distinctions terrestres !
Claude Duneton façon puzzle (éditions unicité) ; 414 pages 15 x 21 cm ; 25 €