Quand la presse,
dans ses commentaires,
souffle le chaud et le froid...

< dimanche 17 septembre 2023 >
Chronique

Des lecteurs se seront sans doute étonnés d'apprendre, par une légende de leur journal préféré, que « dans un Stade de France transi, Damian Penaud et les Tricolores [avaient] idéalement lancé leur Coupe du monde ».

Je dois ici avouer que ma première réaction fut identique à la leur. Transi par ces temps de canicule, avec trente degrés au coup d'envoi ? N'eût-il pas mieux valu évoquer un stade « en transe » ? Qu'au début de chaque période le stade ait été « cueilli à froid » (la presse sportive d'aujourd'hui dirait « climatisé ») par un essai néo-zélandais n'est pas douteux. Mais, puisqu'il est question d'une entrée en matière « idéale », nul doute que le chaud ne l'ait largement emporté sur le froid !

On a l'esprit maison ou on ne l'a pas : sans aller jusqu'à me faire l'avocat du diable (on a sa fierté), je me suis mis en quête d'une interprétation qui permît de sauver la face. C'est qu'une longue expérience de la chose grammaticale m'a appris que, comme les vers de Paul Valéry, les mots ont souvent le sens qu'on leur prête. Le résultat devait pourtant dépasser mes espérances.

Racine, le premier, a volé à mon secours. Comment ne pas se souvenir en effet de Phèdre qui, avouant son amour incestueux pour Hippolyte, déclare à sa servante qu'elle a « senti tout son corps et transir et brûler » ? C'est qu'à un certain degré d'émotion les extrêmes se rejoignent, chaud et froid ne font plus qu'un…

La tragédie a été vite rejointe par l'étymologie. Le Dictionnaire historique de la langue française d'Alain Rey précise qu'à l'origine le verbe latin transire (littéralement, « aller au-delà ») signifiait « trépasser » et, par extension, « être stupéfié ». La notion d'engourdissement par le froid, même si, depuis lors, elle n'a plus quitté le devant de la scène, n'est apparue que deux siècles plus tard ! Qui osera reprocher à un journaliste d'avoir voulu rester au plus près du sens premier du mot ?

Enfin, l'état de transe auquel je faisais allusion plus haut, et qui suppose effectivement une espèce de dépersonnalisation qui vous fait sortir de vous-même, est tellement proche du verbe transir qu'il en descend en ligne directe ! Là encore, on aura beau jeu de plaider le sens figuré : les transis n'avaient pas froid, ils se trouvaient dans un état second, où cohabitaient peur, indécision et enthousiasme.

L'ai-je bien… défendu ?