De l'indélicatesse à la délicatesse,
il n'y a qu'un pas !
Une tradition bien établie veut que notre langue soit toujours précise et qu'elle ne laisse que peu de place à l'ambiguïté. On ne demande qu'à y croire, mais il y a quelquefois loin de la coupe aux lèvres…
Témoin ce lecteur qui relève dans les colonnes de notre confrère L'Équipe que Christophe Galtier est « en situation délicate » après l'élimination prématurée du PSG en Ligue des champions. N'est-il pas surprenant, persifle-t-il, que l'on emploie cet adjectif riche en connotations positives pour décrire le sort, rien moins qu'enviable, de l'ancien entraîneur du LOSC ?
Difficile, a priori, de lui donner tort. La délicatesse chère à David Foenkinos, c'est en français la finesse, la légèreté, le goût, la grâce, l'élégance, le charme, la réserve, la discrétion, la prévenance envers autrui, la sensibilité, la subtilité, l'élévation de sentiment. Il faudrait beaucoup d'affinités pour espérer plus !
À quiconque, en revanche, sait raison garder, il reviendra bien vite à l'esprit que la roche Tarpéienne, à Rome ou ailleurs, n'est jamais très loin du Capitole. C'est que, finesse et légèreté allant de pair avec fragilité, on a tôt fait de glisser du côté obscur de la force ! Histoire de rappeler que le français fait tout autant dans la nuance que dans la netteté, nos dictionnaires proposent pour la route une ou deux acceptions moins réjouissantes : ce qui est délicat devient ce qui « peut se détériorer facilement » et, par voie de conséquence, réclamer des précautions. Un effort de compréhension, aussi, tant il est vrai que la subtilité condamne à l'exigence. Le tour est joué, et la voie désormais libre à une appréciation plus mesurée de la délicatesse en question…
Si l'on poussait le vice jusqu'à rechercher l'absurdité, on pourrait même remarquer que, dans notre langue réputée si cartésienne, quand on est en délicatesse avec quelqu'un (autrement dit, quand on a à se plaindre de lui) c'est souvent que l'on a… manqué de délicatesse à son égard ! Allez comprendre… Cela dit, nos médecins n'ont jamais hésité, de leur côté, à qualifier d'« exquises » des douleurs vives et nettement localisées sur lesquelles le paracétamol est aussi efficace qu'un cataplasme sur une jambe de bois. Pas sûr qu'en l'occurrence leur patientèle ne les prenne pas pour de fieffés masochistes !