Quand la peur de l'hiatus
pousse au crime, autrement pernicieux, du pataquès...

< dimanche 12 mars 2023 >
Chronique

Plus que jamais en bonne place, parmi les dérapages incontrôlés de la prononciation : l'intercalation d'un « t » imaginaire entre l'infinif être et une forme verbale se terminant par un « a » !

Nul ne s'étonnera que les plateaux de l'information en continu, où l'on pérore du matin au soir, soient, d'assez loin, les plus touchés. On y entend, beaucoup plus souvent qu'on ne le souhaiterait, des choses comme « Chacun se demande si cette loi pourra-t-être votée dans les délais », « L'appel du parquet devra-t-être examiné dans les dix jours qui viennent », « Quelle va-t-être la réaction de l'opinion si la star échappe à la détention provisoire ? »

Au premier rang des causes de ce « cuir » — les optimistes de nature préféreront éventuellement parler de « velours » —, le fait que le verbe être est fréquemment précédé d'une forme conjuguée qui s'achève sur un « t ». Les « vont être », « doit être », « peut être » (auxquels vient s'ajouter, au prix d'un trait d'union supplémentaire, l'adverbe « peut-être »), colonisent régulièrement nos oreilles. Et comme ces dernières résonnent plus souvent qu'elles ne raisonnent…

On peut également se souvenir de ce Malbrough qui, comme chacun sait, « s'en va-t-en guerre », et même invoquer, plus légitimement, ce « t » analogique que la grammaire nous impose, cette fois, devant un pronom personnel (« va-t-il », « va-t-elle »). Mais pèse surtout dans l'affaire notre allergie à l'hiatus, cette rencontre plus ou moins cacophonique de deux sons vocaliques entre deux mots que l'on énonce sans pause. Notre littérature en fait à l'occasion ses choux gras. Qui ne se souvient de ce coche qui, chez La Fontaine, « arrive au haut », authentique péché contre l'euphonie, certes, mais symbole ô combien magistral de la nécessaire union du fond et de la forme : si l'escalade de la pente s'est révélée pénible, la façon de le traduire doit l'être aussi !

Dans la vie de tous les jours, en revanche, où l'on n'est pas censé bénéficier de telles circonstances atténuantes, on croit devoir s'en méfier comme de la peste, fût-ce au détriment de l'orthographe et de la grammaire.

Sombrer dans le pataquès pour avoir voulu éviter l'hiatus, n'est-ce pas pourtant, quand on y réfléchit, ce qui s'appelle tomber… de Charybde en Scylla ?