Le français
tel qu'on le parle chez nous (1/6) :
« Il n'y a pas d'avance ! »
Même à l'auteur de ces lignes, que son statut condamne à la prudence, il arrive de temps à autre d'interloquer son interlocuteur en laissant échapper une tournure que ne reconnaît pas le français standard…
Il y a presque toujours là régionalisme sous roche : une expression cueillie dès l'enfance sur les lèvres de nos parents ou grands-parents, à une époque où l'esprit critique n'était pas ce qu'il allait devenir et dont, à y regarder de plus près, nous nous demandons d'où elle peut bien sortir ! Ainsi, ne nous sommes-nous pas surpris, la semaine dernière encore, à exprimer notre fatalisme d'un « Il n'y a pas d'avance » qui laisserait perplexes cinq côtés de l'Hexagone ?
Un tour tout trouvé, pourtant, pour compléter le pathétique « Et quoi faire ? » de nos aïeules confrontées au caractère impitoyable de l'existence. Tout le monde comprend que l'on souligne là combien le roseau humain est impuissant à contester les diktats divins. Cela n'empêche pas le remords de vous saisir quand vous vous rendez compte que cette avance n'a pas grand-chose à voir avec les acceptions qu'en proposent nos dictionnaires. Rien de commun ou presque, en effet, avec celle que la tortue de La Fontaine prend sur le lièvre, avec cette autre que viendra dans la foulée compléter le solde, encore moins avec celles que se permet le don Juan afin d'emballer sa proie du jour.
Il faut consulter le Dictionnaire de belgicismes de Georges Lebouc (chacun sait que, neuf fois sur dix, ce qui a cours dans nos Hauts-de-France sévit également de l'autre côté de la frontière) pour apprendre qu'au XVIIe siècle avance était volontiers pris au sens d'« avantage ». S'il n'y a pas d'avance, c'est que l'on n'a aucune chance de tirer avantage d'une situation, que c'est peine perdue de s'en plaindre, et a fortiori de se rebeller. La langue s'en souvient d'ailleurs au travers d'une formule largement ironique qui, elle, est restée des plus vivaces : « Nous voilà bien avancés ! ».
Partant, n'ayons garde de croire qu'il soit toujours pendable de s'écarter de la routine et des canons linguistiques. Quand d'aucuns penseraient que ressusciter le français du cru ne nous avance à rien, cela nous fournit déjà le recul nécessaire à la compréhension de la langue et de ses avatars, ce qui n'est pas rien. En témoigneront, dans les semaines à venir, d'autres locutions, a priori tout aussi énigmatiques !