Euro : vingt ans après,
les grammaires ne lui disent pas merci !
La semaine dernière, La Voix du Nord répondait (fort bien) aux scrupules d'un lecteur : pourquoi un « s » à euro alors que nos billets l'ignorent ? sommes-nous encore fondés à parler, en France, de centimes ?
Ces inquiétudes réapparaissent périodiquement, y compris, évidemment, dans ces colonnes. Et l'on ne répétera jamais assez que, si l'on a cru bon d'unifier nos monnaies, il n'est pas encore question — Dieu merci ! — d'aboutir à une langue unique. D'où la nécessaire survie du centime dans un Hexagone où le cent aurait par trop ressemblé à notre adjectif numéral (allez expliquer qu'il faut cent cents pour faire un euro !) et le maintien de la marque du pluriel pour euro, comme il sied à tout nom commun qui se respecte.
L'ouvrage sur le métier ne se remettant jamais assez, nous en profitons pour rappeler que ce nom commun, quelque respect que l'on doive à l'argent, n'a jamais à prendre la majuscule. Seules les compétitions sportives jouissent de ce privilège : il faut bien que l'usager s'y retrouve pour peu qu'il lise, dans les colonnes de L'Équipe, qu'un footballeur gagne beaucoup d'euros quand il gagne un Euro !
Cela dit, le pis que la monnaie commune nous ait réservé est sans doute le fait... qu'elle commence par une voyelle. Aux temps bénis du franc, chacun pouvait, sans risquer de passer pour celui qui piétine les règles fondamentales de notre grammaire, évoquer des sommes telles que 80, 100 ou 200 F. À l'oral du moins, la consonne initiale mettait à l'abri de toute liaison compromettante, que l'on oubliât de la faire quand elle était requise, ou qu'on la fît là où elle ne s'imposait pas.
Aujourd'hui, le risque de déraper a été multiplié par six et quelques ! Il suffit d'entendre, un peu partout, ces [cent-z-euros] qui révèlent un « s » superfétatoire, ou ces [cen/euros] désireux de ne pas se mouiller : la seule prononciation au-dessus de tout soupçon est évidemment [cent-t-euros]. À l'inverse, combien de [quatre-vingt-t-euros] et de [deux cent-t-euros] viennent régulièrement nous écorcher les oreilles, laissant planer le doute sur le bagage orthographique du locuteur ? Faire entendre le « s » serait pourtant la preuve que l'on connaît la règle du pluriel de vingt et de cent...
Plus personne, aujourd'hui, ne réclame la sortie de l'euro. Nul besoin, pourtant, d'un sondage pour deviner que les grammairiens voteraient pour !