Et maintenant « iel » !
Mais quand arrêtera-t-on
d'emm... le français ?
Il fut un temps où notre langue faisait l'admiration de tous : des Français eux-mêmes — ce qui n'est pas rien de la part de Gaulois réputés réfractaires —, mais aussi de tous les autres, qui se battaient pour la parler.
On n'avait pas assez de mots, alors, pour vanter sa clarté, sa précision. D'aucuns, excusez du peu, proclamaient même son universalité ! Nos écrivains n'avaient de cesse qu'ils ne l'illustrassent de chefs-d'œuvre plus immortels les uns que les autres. Surtout, on lui savait gré d'avoir, bien avant l'hymne et le drapeau, unifié le pays. Dame ! c'était une époque où, avant de cultiver sa différence, on songeait à approfondir sa communion ; où l'on envoyait à l'Élysée, non un banquier, mais (horresco referens !) un professeur de français...
Puis vint l'ère du soupçon. Cette France que l'on ne savait plus aimer, au point de renier tout ce qui, par le passé, avait fait sa grandeur, ne pouvait qu'entraîner dans sa chute une langue qui, pour avoir respiré l'air des hauteurs, ne pouvait être que la complice de ses compromissions. À qui veut brûler ce qu'il a adoré, tout est bon, une fois chaussées les lunettes du désamour !
De rigoureuse et exigeante qu'elle était, elle devint tyrannique, élitiste, antidémocratique même : on s'attacha à la simplifier, oubliant au passage qu'apprendre à vaincre une difficulté serait toujours plus formateur que de la supprimer. De sa vocation unificatrice, on retint surtout le jacobinisme et l'oppression des patois et langues régionales : la repentance ambiante la contraint aujourd'hui, dans plus d'un « territoire », à partager le gâteau toponymique avec l'ancien parler du cru. Le tout au nom d'un pluralisme linguistique qu'on lui refuse à l'échelle internationale (voire nationale !), là où l'anglais règne en maître.
Dernier avatar de cette « déconstruction » programmée : l'entrée, dans le Petit Robert en ligne, du pronom neutre iel (au fait, pourquoi cette primauté récurrente du mâle, le « i » continuant de précéder le « el » ?). En même temps que leur terrain de jeu favori, le français est devenu l'otage des idéologies du moment, lesquelles, faute de s'imposer dans la société, s'acharnent sur une langue exsangue, en quête de victoires symboliques. À en juger par les vives réactions publiées dans le Courrier des lecteurs de la semaine dernière, il n'est pas sûr que cela serve les causes, fussent-elles justes, qu'elles affectent de défendre.