La chanson française, c'est mieux
quand c'est écrit... en français !
Si l'on nous avait dit qu'un jour nous tresserions des couronnes à quelqu'un qui, en trois minutes, répète plus de vingt fois voilà, à l'instar du premier interviewé venu, nous ne l'aurions probablement pas cru...
C'est pourtant ce que nous pousse à faire le récent Concours Eurovision de la chanson. Certes, la Française Barbara Pravi a raté de peu la consécration qui nous boude depuis maintenant quarante-quatre ans, mais elle ne devait pas ignorer que ladite compétition tient aujourd'hui de la pure loterie, coincée qu'elle se trouve entre les suffrages de « professionnels » prompts au copinage géopolitique et un vote populaire pour le moins flou, tant dans ses modalités que dans ses motivations.
Il n'en reste pas moins que cette belle deuxième place (le meilleur classement depuis L'Oiseau et l'enfant de Marie Myriam), comme le tombereau de réactions enthousiastes enregistrées sur une Toile où l'on célébrait la résurrection inattendue de la chanson française, frappe de ridicule achevé tous ceux qui nous expliquaient jusqu'ici, de leur ton pragmatique et des trémolos dans la voix, que, si la France prend régulièrement le bouillon, c'est qu'elle ne chante pas en anglais ! On avait pourtant vu, et à plusieurs reprises, ce qu'il était advenu des malheureux qui s'y étaient peu ou prou essayés. Le zéro inédit et pointé du Royaume-Uni il y a quelque huit jours, auquel nous n'aurons évidemment pas le mauvais goût d'applaudir, vient d'ailleurs démontrer par l'absurde ce qui relevait déjà de l'évidence.
L'onde de choc provoquée dans toute l'Europe par la ritournelle de notre chanteuse — en qui beaucoup décèlent un mélange de Piaf (d'aucuns dénoncent même une resucée de Padam, padam), de Brel et d'Aznavour — vient à point nommé rappeler qu'un texte, lequel est toujours musique avant de véhiculer un sens, doit moins être compris que participer à cette mystérieuse alchimie qui préside à la naissance d'une chanson.
La morale de cette histoire ? ce n'est pas en voulant ressembler aux autres, en se fondant dans le creuset commun d'une mondialisation desséchante et forcément réductrice que la France... se distinguera, dans les deux sens du terme. Dans ce domaine au moins, Malraux avait tout faux : mieux vaut toujours « cultiver sa différence » qu'« approfondir sa communion ». Notre langue ne constituera jamais le handicap de la chanson française, elle en est le principal atout.