Il n'y a pas photo :
chaque jour davantage,
on assiste au bal des... focus

< dimanche 9 mai 2021 >
Chronique

C'est le tic de langage par excellence : le focus est partout. Fer de lance d'une ère qui se veut « 2.0 », se rêve « en mode » machine et ne prêche plus que par la technique, pardon... la « technicité » !

Faites donc l'expérience : tapez « focus » dans la fenêtre Google et cliquez sur Actualités, on vous en vendra treize à la douzaine. Sur la technologie VPN, l'avancée des chantiers du Grand Paris Express, le canton d'Illiers-Combray avant les élections, les nouveaux moyens de paiement en ligne, les futurs adversaires des Bleus à l'EuroBasket 2022, les histoires d'amour de Penélope Cruz, les métiers encore méconnus du financement spécialisé, le riche patrimoine de la cité médiévale de Lauzerte, l'activité dans les services en zone euro. On s'en tient là de peur de vous lasser.

La moindre enquête sur un sujet un tant soit peu précis devient un focus. Il semblerait que le mot soit à lui seul une garantie de sérieux, de modernité et, surtout, d'approfondissement. En plan le gros plan de jadis, ringardisé le zoom de naguère (qui avait pourtant pour lui sa bonne tête d'anglicisme dans le vent) : de fait, plus rien ne résiste à cet oxymore mêlant le neuf et le vieillot, à ce mariage de la carpe et du... latin !

Si encore on se bornait à user du mot comme d'un substantif, le mal ne serait pas grand. Il n'agacerait alors que par sa propension à coloniser la moindre de nos phrases, jusqu'à la nausée. Il ne serait ni le premier ni le dernier à l'avoir fait : l'époque a visiblement besoin de ces hochets de l'esprit que l'on agite jusqu'à plus soif, histoire de se ménager des repères dans un monde qui en manque singulièrement.

Le seuil de tolérance n'en est pas moins franchi quand on installe focus en lieu et place d'un adjectif ou d'un participe passé, au risque, totalement assumé par les iconoclastes qu'il nous arrive d'être, de déstructurer la phrase. C'est ainsi qu'au dire de Christophe Galtier « Yilmaz est focus sur la compétition » (puisse-t-il le rester jusqu'au titre !) ou que, nous apprend le magazine Capital, « Total change de nom mais reste focus sur les renouvelables ».

On se contentait, il y a peu, d'« être » ou de « rester concentré », de « se polariser », voire de « se focaliser » sur quelque chose. Ce n'était pas moins clair et surtout cela avait l'immense avantage de respecter la syntaxe. Mais n'allons pas nous attaquer à un effet de mode : autant vaudrait uriner dans un stradivarius !